Le bureau du coroner exclut pour l'instant la tenue d'une enquête publique sur la mort de Mario Hamel et de Patrick Limoges, tués par des balles tirées par des policiers dans le centre-ville de Montréal, le 7 juin.

«Pour le moment, il n'est pas question d'enquête publique, a dit hier la porte-parole du bureau, Geneviève Guilbault. Les décès sont sous investigation.»

La Sûreté du Québec mène cette investigation et fera son rapport au docteur Jean Brochu, le coroner qui pilote le dossier. En vertu de la Loi sur la recherche des causes et des circonstances des décès, les coroners enquêtent systématiquement sur toutes les morts violentes, qu'elles soient provoquées par des accidents, des suicides ou des meurtres. Seules quelques-unes de ces enquêtes sont publiques. La grande majorité sont des «investigations»: dans bien des cas, les coroners s'appuient sur les enquêtes policières pour tirer leurs conclusions.

«Une enquête publique ne peut pas être déclenchée tant que l'enquête policière et l'investigation ne sont pas terminées, a dit hier Mathieu Saint-Pierre, porte-parole de Robert Dutil, ministre de la Sécurité publique. Il faut savoir si des accusations criminelles seront portées.»

Me Alain Arsenault, un avocat qui a défendu plusieurs personnes contre des services de police, croit que l'enquête publique sera obligatoire pour faire toute la lumière sur les circonstances de la mort de Mario Hamel, un sans-abri âgé de 40 ans, et de Patrick Limoges, un employé de l'hôpital Saint-Luc qui a été atteint d'une balle perdue alors qu'il se rendait à son travail.

«Le gouvernement ne pourra pas éviter cette enquête publique, a-t-il dit. Il est tellement évident qu'il y a eu négligence. Quelqu'un (M. Limoges) qui n'était pas impliqué dans un incident a reçu une balle. Un autre, qui était en crise (M. Hamel) et qui portait un couteau, a été tué. Au moins trois coups de feu ont été tirés. Il faudra se poser ces questions: «Y avait-il d'autres moyens de maîtriser M. Hamel? Et si oui, lesquels?»»

Un témoin non identifié affirme avoir vu Mario Hamel déchirer des sacs d'ordures avec un couteau à l'angle des rues Sainte-Elisabeth et Sainte-Catherine, vers 6h30 le 7 juin. Il a apostrophé Hamel, qui l'a menacé. Le témoin a composé le 911. Quelques minutes plus tard, quatre policiers se sont mis à suivre le sans-abri, en lui ordonnant de lâcher son couteau.

«Ils (le) suivent à la trace, ils sont à quatre, cinq pieds de lui, a raconté le témoin à l'émission du chroniqueur judiciaire Claude Poirier. Je sais que les quatre policiers l'ont mis en joue, là. Ils ont leur revolver dans les mains. Un policier s'avance d'un peu plus près, probablement pour l'intercepter, et voilà que lui, fait le pas pour s'avancer vers le policier, et là, trois ou quatre coups de feu ont été tirés.»

«Ce serait utile qu'il y ait une enquête publique, soutient Alexandre Popovic, porte-parole de la Coalition contre la répression et les abus policiers. Je ne suis pas convaincu que les policiers n'avaient aucune autre option que de faire feu, qu'ils n'étaient pas capables de faire une diversion pour désarmer un homme en détresse.»

Rien n'obligeait les policiers à suivre de si près M. Hamel, ajoute Me Arsenault. «Mettez-vous à quatre pieds d'un gars qui a un couteau, c'est sûr que c'est menaçant, dit-il. Mais êtes-vous obligé de vous placer si près de lui? Ne serait-il pas plus intelligent de raisonner cet homme à distance, de prendre son temps, de l'encercler, de l'isoler, de lui donner des coups de bâton par l'arrière? Autant d'éléments qui doivent être analysés.»

Aux États-Unis, 1632 agents de la paix (policiers et gardiens de prison) ont été tués alors qu'ils étaient en service, entre 2000 et 2010: 572 avec des armes à feu, 469 dans des accidents de voiture, et 8 avec des couteaux. Plus précisément, deux policiers américains ont été tués avec un couteau depuis 2000.

Au Canada aussi, les policiers victimes d'un homicide en service ont presque tous été tués par balle. Entre 1961 et 2009, 92% des 133 homicides ont été commis à l'aide d'une arme à feu; 4 d'entre eux l'ont été avec un couteau.