Trois avocats représentant des membres de la mafia ont été espionnés par des agents de la GRC au centre judiciaire Gouin, a-t-on appris hier au procès de l'un de leurs clients, Giuseppe De Vito.

Pendant l'hiver 2008, les policiers «observent les moindres gestes posés par les avocats [...] les suivent et écoutent leurs conversations», affirme De Vito dans une requête demandant l'arrêt de son procès.

La GRC cherchait alors à valider des allégations selon lesquelles certains de ses employés étaient corrompus. Les enquêteurs croyaient que les avocats pouvaient servir d'intermédiaires entre ces policiers et des membres de la mafia.

«Sans précédent»

L'un des trois avocats, Me Michel Pelletier, a dit hier que cet espionnage dans un palais de justice constituait une opération sans précédent dans les annales judiciaires. Les deux autres avocats sont Mes Daniel Rock et Gerardo Nicolo.

De Vito, 45 ans, est accusé de gangstérisme, de trafic de cocaïne et de possession d'arme prohibée. Les enquêteurs de l'opération antimafia Colisée l'ont cherché pendant quatre ans après la rafle de novembre 2006 et ne l'ont arrêté qu'en octobre dernier.

L'espionnage des avocats a «créé une situation conflictuelle qui porte atteinte aux droits du requérant (De Vito) de préparer sa défense à l'abri de l'État», affirme la requête qui demande l'arrêt du processus judiciaire.

La Couronne réfute

Les procureurs de la Couronne ont demandé au tribunal de rejeter cette requête. Selon eux, l'espionnage des avocats n'avait rien à voir avec De Vito, si bien qu'il ne peut pas amenuiser ses chances d'avoir un procès équitable.

«L'accusé (De Vito) se plaint d'événements qui ne le concernent pas et qui se sont déroulés alors qu'il fuyait la justice», écrit le représentant des procureurs, Me Denis Gallant, dans une contre-requête.

«Les événements dont se plaint l'accusé remontent à l'hiver 2008 [...] Il est à noter qu'à cette époque, Me Pelletier et Me Rock ne représentaient pas l'accusé, mais plutôt un coaccusé, Alessandro Sucapane. Celui-ci subissait avec d'autres son enquête préliminaire au centre judiciaire Gouin dans le cadre du projet Colisée.

Corruption?

«L'intérêt porté aux trois avocats [...] visait uniquement à tenter de valider des allégations provenant de sources à l'effet qu'il y avait des policiers corrompus au sein de la GRC.»

En août 2007, la GRC a arrêté un de ses employés civils, Angelo Cecere, 58 ans. Depuis 25 ans, Cecere transcrivait, traduisait et interprétait des conversations en italien interceptées par écoute électronique. Il a été accusé d'avoir transmis des renseignements confidentiels à des membres de la mafia pendant l'enquête Colisée. Il est représenté par Me Rock.

Peu après, la GRC a appris qu'il y avait peut-être d'autres employés ou policiers corrompus, à la solde de Giuseppe De Vito, et qui étaient prêts à rendre de faux témoignages s'il était cité à procès. Des rumeurs voulaient que les trois avocats visés servent de messagers entre ces policiers et la mafia.

Avocat accusé

L'un des trois avocats, Me Gerardo Nicolo, 43 ans, a été arrêté en novembre 2008 et accusé de corruption et d'entrave à la justice. Me Nicolo était alors l'avocat de Giuseppe De Vito. Selon l'accusation, il aurait promis 20 000$ à un agent double de la GRC qui s'était fait passer pour un policier corrompu. En échange, Me Nicolo aurait demandé des garanties écrites selon lesquelles De Vito serait libéré sous caution s'il se livrait à la GRC.

L'enquête sur la corruption policière était fondée sur « des rumeurs de rue » et « n'a abouti à rien » ; « aucun policier ne fut ciblé ni enquêté », affirme la requête produite par les nouveaux avocats de Giuseppe De Vito, Mes Rock et Pelletier.

Impassible

De Vito, portant sa fameuse queue de cheval qui lui a valu son surnom de Ponytail, est resté impassible pendant ces débats devant le juge Isabelle Rheault. Cela contrastait avec son comportement lors de sa dernière comparution devant un tribunal, en mars dernier.

De Vito avait été contraint de témoigner à l'enquête préliminaire de son ex-femme, Adèle Sorella, accusée d'avoir tué leurs deux fillettes pendant sa longue cavale. Il s'était alors emporté.

Les débats sur sa requête en arrêt du processus judiciaire reprendront demain au palais de justice de Montréal.