Après un demi-siècle de démarches judiciaires, Réjean Hinse n'est pas au bout ses peines. L'homme de 73 ans, condamné à 15 ans de prison en 1964 pour un vol qu'il n'avait pas commis, devra maintenant poursuivre sa lutte devant la Cour d'appel. Le procureur général du Canada vient de s'opposer à un jugement rendu en avril dans lequel la Cour supérieure ordonne au gouvernement fédéral de verser à M. Hinse une compensation de 8,6 millions pour avoir fait preuve d'une «négligence sans pareille».

Ce feuilleton a débuté en 1964, lorsque M. Hinse a été déclaré coupable d'un vol à main armée survenu trois ans plus tôt à Mont-Laurier. Il a purgé cinq ans de pénitencier avant d'être placé en liberté conditionnelle pour le reste de sa peine. Durant son incarcération, il a été victime de maux de tête si violents qu'il tentait de «s'anesthésier» en se cognant la tête contre le mur.

Déterminé à prouver son innocence, il est parvenu, en 1989, à porter sa cause devant la Commission de police. Cette dernière a estimé que M. Hinse avait été victime d'une enquête «pourrie» et qu'il avait été mal défendu dans un procès inéquitable. En 1991, la Cour d'appel a cassé son verdict de culpabilité. Sept juges de la Cour suprême ont par la suite acquitté M. Hinse à l'unanimité en 1997.

Malgré les nombreuses lettres et demandes que M. Hinse a fait parvenir au gouvernement, Ottawa a toujours refusé de réexaminer le dossier et de lui offrir une compensation financière. Il a donc dû se tourner une fois de plus vers les tribunaux.

L'État avait pourtant la responsabilité de «réagir le plus tôt possible» à la suite d'une «condamnation sans fondement», a écrit la juge Hélène Poulin, de la Cour supérieure, dans un jugement rendu le mois dernier, à la suite d'un procès civil de six semaines qui s'est déroulé à l'automne. «La grave inertie administrative de même que la lourde paralysie institutionnelle dans laquelle le gouvernement fédéral s'est complu pendant toutes ces années ont confiné Hinse dans la «prison psychologique» qu'il n'a pas, à ce jour, réussi à briser: il en a même perdu sa dignité», peut-on lire dans le jugement. La juge estime que M. Hinse a été victime d'un «cafouillage juridique [qui] donne le vertige».

Cour d'appel

Le procureur général du Canada en a appelé il y a un peu plus d'une semaine à la Cour d'appel qui siège à Montréal. Il estime que le jugement de la Cour supérieure est «entaché de plusieurs erreurs de droit» et «d'erreurs de fait» qui touchent les conclusions relatives aux dommages versés. Il déplore notamment que la Cour ait omis de considérer l'indemnisation de 5 millions déjà versée par le gouvernement du Québec à la suite d'une entente à l'amiable. Le procureur affirme également que la somme de 2,5 millions à titre de dommages exemplaires est exagérée dans les circonstances.

Avec des indemnisations de 13 millions versées par les deux gouvernements, il s'agit de la plus grande compensation jamais versée au Québec à la suite d'une erreur judiciaire.

Interrogé hier par La Presse, Me Alexander de Zordo, du cabinet d'avocats Borden Ladner Gervais, qui agit bénévolement dans cette affaire, a affirmé qu'il n'était pas surpris de la décision d'Ottawa d'interjeter appel. «Ils nous avaient déjà indiqué leur intention de le faire avant que le jugement soit rendu, a-t-il expliqué. Ça cadre avec la position qu'ils ont adoptée depuis le début du processus.»

Il affirme que son client est déçu. «Après 50 ans, il veut tourner la page.»

Le procureur général a par ailleurs demandé l'annulation de l'ordonnance qui impose à Ottawa de verser immédiatement les dommages et intérêts à M. Hinse. La requête sera entendue par la Cour d'appel le 8 juin prochain.