Quand Guy Turcotte est entré dans la chambre pour poignarder son fils de 5 ans, le petit Olivier a crié: «Non, papa! Non, papa!»

Ces mots ont frappé l'auditoire comme une tonne de briques, vendredi, au procès de Guy Turcotte. Ce sont ceux que l'accusé a employés quand, le 7 mars 2009, il a confié en pleurant à son «coach de vie», Luc Tanguay, comment il avait tué ses deux enfants une dizaine de jours auparavant.

Le récit que M. Tanguay a fait d'un ton grave, en détachant chaque mot, était insoutenable. Guy Turcotte lui a confié avoir tué ses enfants parce qu'il avait décidé de se suicider et ne voulait pas que les petits le trouvent mort le lendemain. Il a voulu les emmener avec lui. M. Turcotte est accusé du meurtre prémédité d'Olivier, 5 ans, et d'Anne-Sophie, 3 ans, trouvés morts le 21 février 2009 dans la résidence de Piedmont qu'il louait depuis moins d'un mois, à la suite de sa récente séparation d'avec Isabelle Gaston. M. Turcotte, lui, avait bu du lave-glace pour se suicider.

Vendredi, le témoin Tanguay s'est décrit comme conseiller en communication. Au début de son récit, on a appris qu'Isabelle Gaston et Guy Turcotte, tous les deux médecins, avaient recours à ses services pour apprendre à mieux communiquer entre eux. «J'avais un rôle d'accompagnateur, pour aider à gérer les tensions internes dans les relations interpersonnelles», a-t-il résumé. La relation d'aide avait commencé vers la fin de 2007 avec Mme Gaston. Guy Turcotte s'était joint à certaines rencontres par la suite. De fil en aiguille, il s'était mis lui aussi à consulter personnellement M. Tanguay. Ce dernier n'a pas expliqué plus précisément en quoi consistait son travail, et on ne lui a posé aucune question sur sa qualification.

On a appris que M. Tanguay a vu M. Turcotte deux fois en 2009 avant les terribles événements, et une fois après. Il se souvient avoir vu M. Turcotte le 17 février 2009, trois jours avant le drame. Il était triste en raison de sa séparation d'avec Mme Gaston, mais il ne nourrissait aucune agressivité envers elle. Au contraire, il voulait la sécuriser financièrement. Il était aussi d'accord pour la garde partagée. Il avait acheté une nouvelle maison, qui devait être inspectée le 20 février. De plus, Guy Turcotte avait des projets et venait de rencontrer une «nouvelle personne avec qui faire du sport», a raconté M. Tanguay.

Le 21 février, M. Tanguay a appris le drame par les médias. Il a «capoté», il en a même été traumatisé, a-t-il reconnu. Rien ne laissait soupçonner pareil dénouement, assure-t-il. Une dizaine de jours plus tard, au début du mois de mars, M. Tanguay a reçu un appel de Guy Turcotte, incarcéré à l'Institut Philippe-Pinel, où il subissait des évaluations psychiatriques. Il voulait voir M. Tanguay. Ce dernier a demandé les autorisations nécessaires et s'est rendu à Pinel le 7 mars. En se voyant, ils se sont serrés dans les bras l'un de l'autre, a dit M. Tanguay.

«M. Turcotte pleurait beaucoup, il avait beaucoup, beaucoup de peine», a raconté M. Tanguay. Ce dernier a demandé comment cela se passait à Pinel. «Il m'a dit: "On est tous habillés pareil, avec les mêmes souliers." Il a dit qu'il voyait le soleil de sa cellule, qu'il s'entraînait et essayait de se garder en forme.»

Courriels et tristesse

M. Tanguay a voulu savoir en quoi consistaient les évaluations que subissait M. Turcotte. Il a répondu qu'il devait parler de lui, de son enfance, de ses relations avec ses frères et soeurs, de son éducation... Puis il s'est mis à raconter la soirée fatidique. Il avait loué des vidéos pour les regarder avec les enfants. Il a regardé les films, puis il a couché les petits. Il a allumé l'ordinateur. Il avait en sa possession des courriels qu'Isabelle Gaston avait échangés avec son nouvel amoureux, Martin Huot.

«Ça le bouleversait de lire ça, a raconté M. Tanguay. Il a fait des recherches pour se suicider rapidement. Il a parlé une heure au téléphone avec sa mère. Il m'a dit qu'il ne voulait pas que ses enfants le retrouvent mort le lendemain. Il a décidé de les emmener avec lui. Il est entré dans la chambre d'Olivier. Il (l'enfant) a crié "Non, papa! Non, papa!" Il l'a tué. Il est allé dans la chambre de sa fille. Il entendait son garçon mourir dans son sang. Il a tué sa fille. Ensuite, il s'est réveillé à l'hôpital, il était intubé de partout.»

M. Tanguay a dit au jury que, lors de cette rencontre, M. Turcotte était inquiet pour le mal qu'il avait pu causer à son entourage immédiat. «Il est triste, il pleure, il pleure, il a des remords», a précisé M. Tanguay. «J'ai écouté, et après j'ai parlé d'une expérience que j'ai eue plus jeune. J'étais dans une télé communautaire. J'étais allé rencontrer des personnes qui avaient eu des sentences à vie. J'ai dit à M. Turcotte de garder espoir, car j'avais rencontré là des personnes qui ont continué à vivre et à garder espoir. Je lui ai dit que je viendrais le revoir.»

«Mais je ne l'ai pas fait. Je ne suis jamais allé le voir», a ajouté M. Tanguay.

Difficulté à s'affirmer

En défense, Me Guy Poupart a demandé des explications sur une feuille d'évaluation concernant M. Turcotte. M. Tanguay a expliqué qu'il avait rempli cette feuille avec Guy, pour déterminer ses problèmes relationnels: «Je ne dis pas ce que je pense, peur d'être rejeté, difficulté à m'affirmer, difficulté à être intime avec les gens, incapable de décevoir (blesser), vit des conflits avec Isabelle, commencer à dire ce que je pense....»

M. Tanguay a admis que ceux qui connaissaient Guy Turcotte ne pouvaient savoir qu'il allait tuer ses enfants, qui étaient sa raison de vivre. M. Tanguay ne comprend pas ce qui s'est passé.

«Vous étiez traumatisé?» a demandé Me Poupart.

- Je le suis encore», a répondu M. Tanguay.

La procureure de la Couronne Marie-Nathalie Tremblay a alors voulu savoir comment s'était senti M. Tanguay après sa rencontre avec M. Turcotte à Pinel. Le témoin s'est mis à prendre de profondes inspirations, manifestement pour se maîtriser, car il semblait sur le point de craquer.

«Lorsque j'ai réfléchi, après ma rencontre avec Guy, lorsque je suis revenu chez moi...» a-t-il commencé à dire, avant que le juge l'interrompe et signale que M. Tanguay n'était pas un témoin expert. Le témoignage de M. Tanguay s'est terminé sur cette note.

La Couronne a ensuite déclaré sa preuve close. Me Pierre Poupart a annoncé qu'il fera une défense, qui commencera lundi. On en sera alors au 14e jour de ce procès devant jury, qui est présidé par le juge Marc David, à Saint-Jérôme.