Ce n'est pas tous les jours qu'un notaire est accusé de gangstérisme. C'est pourtant le cas de Gilles St-Pierre, qui aurait aidé un réseau criminel à blanchir une montagne de fausses factures dans l'industrie de la construction.

Les accusations contre Gilles St-Pierre ont été portées au terme de l'opération Béquille de la SQ, en 2008, pour laquelle il y a eu une vingtaine d'arrestations. Les procédures criminelles suivent leur cours, mais depuis le début de la semaine, Gilles St-Pierre comparaît aussi devant le comité de discipline de la Chambre des notaires.

Selon la poursuite criminelle, Gilles St-Pierre a fait transiter dans son compte en fidéicommis plusieurs millions de dollars destinés à des entreprises coquilles, entre 2006 et 2008.

Les fonds entraient sous forme de chèques et étaient ultimement encaissés par le Crédit Fonds Lanaudière (CFL), selon les documents produits en cour. CFL était l'entreprise du chef du réseau, Ronald Chicoine. En échange de ces chèques, CFL fournissait de l'argent comptant à des entrepreneurs pour leurs besoins au noir, de même que des fausses factures. Ces fausses factures permettaient aux entrepreneurs de frauder le fisc, selon la poursuite.

Dans cette affaire, Gilles St-Pierre est visé par six chefs d'accusation au criminel. En plus d'un chef de gangstérisme, notons les chefs de complot, fraude, vol, fabrication d'un faux document et emploi d'un document contrefait.

Les reproches du syndic de la Chambre des notaires sont de nature professionnelle. Essentiellement, le syndic reproche à Gilles St-Pierre d'avoir permis à une organisation d'utiliser son compte en fidéicommis sans avoir, en contrepartie, fourni du travail juridique et sans justification légitime. Gilles St-Pierre aurait également dérogé à l'honneur de sa profession en signant des chèques en blanc.

Entre 2006 et 2008, le syndic de la Chambre a constaté que 23,1 millions de dollars ont transité dans son compte en fidéicommis dans cette affaire.

En défense, Gilles St-Pierre et son avocat, Robert Brunet, plaident que la preuve du syndic de la Chambre a été recueillie illégalement et en contravention avec les règles de secret professionnel du notaire. Le syndic adjoint Robert Guillet, plaident-ils, n'aurait pas immédiatement mis sous scellé les documents saisis lors de la perquisition.

Selon la SQ, l'organisation de Ronald Chicoine a fraudé le fisc d'environ 9 millions de dollars dans cette affaire. M. Chicoine a déjà été arrêté dans une affaire parallèle, en 2010, où il est question de blanchiment d'argent.

La SQ affirme que le réseau de Ronald Chicoine envoyait des montagnes d'argent provenant du crime organisé dans des sociétés coquilles en Europe, notamment en Suisse. Le corps policier a gelé 48 millions de dollars dans cette dernière opération, le plus gros blocage de son histoire. Le processus judiciaire est en cours.

Passé trouble

Gilles St-Pierre n'en est pas à ses premiers démêlés avec la justice. En 1979 et 1981, alors qu'il était avocat commercial, il a été reconnu coupable au criminel de fraude et d'escroquerie. Le juge lui a imposé plus de trois ans de prison dans ce dossier, où il était aussi question de fausses factures.

Gilles St-Pierre a été radié du Tableau de l'Ordre des avocats en 1981, mais il a fallu cinq ans de plus pour que le comité du Barreau lui impose une sanction, en 1986, soit la révocation de son permis d'avocat.

Entre-temps, M. St-Pierre avait réussi à obtenir son pardon judiciaire. Ce pardon lui a permis d'être admis comme membre à la Chambre des notaires en 1990.

Dès 1996, son nom est réapparu dans une autre fraude, l'une des plus importantes au Québec, celle du Marché central métropolitain, à Montréal. Cette affaire, qui a fait les manchettes entre 1995 et 2001, a fait perdre plusieurs millions de dollars aux Soeurs du Bon Pasteur.

À l'époque, l'instigateur de la fraude, Alain Bisaillon, avait eu recours aux services de St-Pierre, qui a été durement critiqué par les juges Guibault, en 1997, et Wagner, en 2006.

«Le Tribunal ne peut passer sous silence également la «contribution» du notaire Gilles St-Pierre au magouillage et à la fraude alors que ce dernier, personnellement ou par l'entremise des sociétés 9004-6673 Québec inc. et Services financiers Holdico inc., transige avec Bisaillon ou les sociétés qu'il contrôle pour encaisser des commissions et des considérations illégales par le truchement de transactions fictives ou frauduleuses sur les terrains du Marché central», écrivait le juge Wagner.

Malgré ces propos, Gilles St-Pierre est demeuré membre de la Chambre des notaires sans problème jusqu'en 2009, moment où il a démissionné dans la foulée de l'affaire Chicoine.

Raymond Dicaire, qui était le mandataire des Soeurs du Bon Pasteur dans l'affaire du Marché central, trouve inadmissible l'inaction de la Chambre des notaires.

«Comment une personne qui a été bannie du Barreau peut-elle être admise à la Chambre des notaires? Et pourquoi la Chambre des notaires n'a-t-elle pas réagi à la suite de l'affaire du Marché central?», dit-il.

Les audiences devant le comité de discipline de la Chambre se poursuivent aujourd'hui et demain.