Marguerite Fournier percevait que son fils Guy était en «grande désolation», le soir du 20 février 2009, quand elle lui a parlé au téléphone. Il avait une voix différente, comme étouffée. Il disait qu'il était malheureux depuis 10 ans, que la véritable raison de sa séparation était que sa conjointe avait un «chum», et que ça durait depuis des semaines.

«Tu te rends compte, maman? Ça s'est passé dans ma maison, dans mon lit», répétait-il souvent.

C'est ce que Mme Fournier, mère de l'accusé, a raconté, hier, alors qu'elle témoignait au procès de son fils Guy, qui se tient à Saint-Jérôme. Ce cardiologue de 38 ans est accusé des meurtres prémédités de ses enfants, Olivier, 5 ans, et Anne-Sophie, 3 ans. Le drame s'est produit le 21 février 2009, dans un contexte de séparation, dans la maison que M. Turcotte louait depuis un mois, à Piedmont. Hier, au début du procès, par la voix de son avocat, M. Turcotte a admis qu'il avait enlevé la vie de ses enfants. Il a plaidé non coupable parce que, selon lui, il n'avait pas l'état d'esprit requis pour former l'intention de tuer ses enfants. C'est là que réside l'enjeu de ce procès.

Mme Fournier est la dernière personne à avoir parlé à Guy Turcotte avant le drame. D'habitude, il l'appelait plusieurs fois par semaine. Mais cette semaine-là, il ne l'avait pas appelée, a-t-elle dit. Mme Fournier a téléphoné chez son fils vers 20h, le vendredi soir 20 février. Le téléphone a été décroché, mais on a raccroché sans parler.

Une quinzaine de minutes plus tard, son fils Guy a rappelé. Mme Fournier a demandé si les enfants dormaient, il a dit oui, puis il a enchaîné. «Il faut que je te demande pardon pour Whistler (1). Je t'aime, maman, dis à papa que je l'aime.»

Crainte du suicide

Mme Fournier se souvient qu'il nommait chaque membre de la famille en disant qu'il les aimait. Il répétait souvent les mêmes choses. Auparavant, il ne voulait pas parler de sa séparation, mais là, il en a parlé. Il a dit qu'Isabelle Gaston l'avait «démoli». Ils s'étaient connus en 1999. Ils s'étaient laissés en 2001, mais avaient repris. Il le regrettait maintenant. Mme Fournier lui disait qu'il fallait maintenant «tourner le dos» à tout ça. Elle essayait de le réconforter, en lui disant qu'il était fatigué, et que le lendemain, ça irait mieux. Ils ont parlé environ une heure. Ils ont raccroché à 21h40 - elle a regardé l'heure. Elle était inquiète, elle craignait que son fils n'attente à sa vie.

Quand son mari est rentré ce soir-là, vers les 23h, Mme Fournier lui a demandé d'aller avec elle chez Guy. Mais ils demeurent à Saint-Hubert, à bonne distance de Piedmont. Son mari disait qu'il était tard, et que Guy avait peut-être pris un coup. Ils verraient le lendemain.

Le lendemain matin, vers 8h30, Mme Fournier a téléphoné chez son fils. Il n'y avait pas de réponse. Elle a pressé son mari, et ils sont partis pour Piedmont. Ils sont passés par l'endroit où Olivier suivait ses cours de piano à cette heure-là. Il n'y était pas. Ils sont arrivés à la maison de Guy. La voiture de leur fils était là, il n'y avait pas de traces dans la neige, et surtout, le store du salon était baissé. «Il aimait la lumière. La première chose qu'il faisait le matin, c'était ouvrir le store pour avoir de la lumière», a raconté Mme Fournier. La porte était verrouillée et il n'y avait aucun signe de vie.

Certaine qu'il était arrivé quelque chose de terrible, Mme Fournier a appelé le 9-1-1. Hier, la Couronne a fait jouer cet appel dans la salle de cours. On aurait pu entendre une mouche voler dans la salle d'audience, pendant ce déchirant appel. «Il vient de se séparer, il était dans un état de grande désolation, il a ses deux enfants avec lui, mais on ne peut pas entrer, c'est barré. On a besoin d'aide, voulez-vous venir, s'il vous plaît?» implorait Mme Fournier, en parlant au préposé du 9-1-1.

Hier, dans le box des accusés, Guy Turcotte pleurait abondamment pendant cet appel, ainsi que pendant l'émouvant témoignage de sa mère.

Arrivée des policiers

Quoi qu'il en soit, ce terrible matin du 21 février 2009, les policiers sont finalement arrivés. L'un d'eux a défoncé une fenêtre pour entrer. À l'intérieur, ils ont trouvé les cadavres froids et rigides des deux enfants, qui gisaient sur le dos dans des lits, dans deux chambres distinctes. Ils avaient été poignardés. Les policiers ont trouvé Guy Turcotte sous son lit, dans la chambre principale. Il était conscient, mais avait bu du liquide lave-glace, comme cela a été établi lorsqu'il a été transporté à l'hôpital.

Lors de son exposé d'ouverture, la procureure de la Couronne Claudia Carbonneau avait prévenu le jury qu'il serait confronté à une scène de crime qui «dépasse l'entendement». On a pu en prendre la mesure, hier, en regardant les 150 photos de cette scène de crime. Le drame s'est joué principalement à l'étage de la maison, où se trouvent les chambres et deux salles de bains. Un couteau a été trouvé dans une salle de bains, un autre se trouvait sur le lit du petit Olivier. Un récipient de liquide lave-glace se trouvait sur le bord de la baignoire. Il n'en restait que le huitième dedans. Dans la chambre principale, il y avait un verre avec du liquide lave-glace dedans, et il y avait des vomissures à différents endroits.

Le procès présidé par le juge Marc David se poursuit aujourd'hui, avec le contre-interrogatoire de Mme Fournier. Le jury est composé de cinq hommes et sept femmes. La salle d'audience était remplie à pleine capacité, hier.

(1) Dix mois auparavant, Guy Turcotte, sa femme et ses parents étaient allés en vacances à Whistler. Les tensions entre Guy Turcotte et sa conjointe étaient alors évidentes.