«Si tous les dossiers sont gérés de la même manière, je me demande à quoi sert le Barreau du Québec. Il ne protège pas le public!»

Dolia Ivanov, résidante de Dollard-des-Ormeaux, a intenté une poursuite civile de 550 000$ contre l'ordre professionnel, qu'elle accuse d'avoir «fait preuve d'incurie et d'une insouciance grave» lorsqu'elle a porté plainte contre son ancien avocat, André Simard.

Seize ans se sont écoulés entre le moment où la femme d'affaires a alerté le Barreau, en 1991, et celui où le syndic a traîné Me Simard devant son Comité de discipline. L'avocat se trouvait pourtant en conflit d'intérêts «on ne peut plus patent» et mitraillait son ancienne cliente de recours abusifs.

«Les gens du Barreau avaient toutes les informations en main. Ils savaient ce qui se passait et ils ont décidé de ne rien faire», a témoigné Mme Ivanov devant la Cour supérieure, hier matin, alors que débutait le procès.

«Ça prenait souvent des mois avant qu'on me rappelle, a-t-elle précisé en entrevue. Parfois, on ne me rappelait pas du tout. Je suis même allée sur place à plusieurs reprises, en vain.»

«On me disait que la plainte suivait son cours normal. Si 16 ans c'est un délai normal, qu'est-ce qui ne l'est pas? Un siècle? S'ils étaient intervenus à temps, la vie de ma famille n'aurait pas été gâchée.»

Des honoraires de 500 000$

Dolia Ivanov a par ailleurs dépensé 300 000$ en honoraires d'avocat pour se défendre contre la guérilla de Me Simard. Puis 200 000$ pour le poursuivre à son tour en dommages et intérêts (avec succès). Ce sont les sommes qu'elle réclame aujourd'hui au Barreau. «Si le Barreau avait réagi dès 1991, cela aurait mis fin aux abus et je n'en serais pas arrivée là», explique-t-elle.

Tout a commencé à Pierrefonds à l'occasion d'une dispute entourant un projet immobilier de plusieurs millions. En 1988, André Simard présente un autre de ses clients à Mme Ivanov, pour qu'il investisse avec elle. Mais les choses tournent mal et la guerre éclate entre les deux nouveaux associés. Me Simard choisit son camp. Même s'il a déjà facturé plus de 100 000$ en honoraires à Mme Ivanov, il se ligue avec son autre client et organise une vendetta.

Pendant cinq ans, Mme Ivanov a fait face à une «meute», a reconnu la Cour supérieure dans une décision rendue en 2004. Les gestes des deux hommes étaient «carrément inacceptables, inexcusables, inqualifiables», a précisé la juge Nicole Morneau, qui parle d'une «mesquinerie choquante et imméritée». À ses yeux, ils ont clairement abusé du système dans l'espoir d'«épuiser (Mme Ivanov), au moins financièrement».

Conflit d'intérêts

Un avocat ne peut se retourner ainsi contre un ancien client sans se placer dans un conflit d'intérêts «on ne peut plus patent», a aussi écrit la juge, convaincue que Me Simard a commis plusieurs fautes déontologiques.

Elle l'a donc condamné à verser près de 1,5 million à Mme Ivanov, plus les intérêts. Mais il a fallu attendre encore quatre ans avant que le Conseil de discipline du Barreau le sanctionne.

En décembre 1998, le Conseil a finalement condamné Me Simard à une amende de 3000$, en expliquant qu'il s'était bel et bien placé en situation de conflit d'intérêts et avait adopté une attitude «déplorable», mais qu'il ne représentait «pas un risque pour la protection du public».

Le Barreau ne fera pas de commentaires tant que le processus judiciaire est en cours. Dans sa défense écrite, il affirme qu'il a bien agi et que Mme Ivanov était d'accord pour différer le traitement de sa plainte - ce que la principale intéressée nie totalement.

«Ils affirmaient qu'ils ne pouvaient rien faire tant qu'il y avait des poursuites civiles en cours. Que pouvais-je faire? Leur envoyer des huissiers?» lance-t-elle.

«On dit qu'on apprend de nos erreurs. Si la Cour affirme qu'ils en ont fait une, peut-être que d'autres gens ne perdront pas 20 ans de leur vie comme je l'ai fait.»