«M. Berniquez avait des problèmes. Aurait-on pu l'encadrer davantage?»



En posant cette question, la coroner Andrée Kronström a indiqué d'entrée de jeu l'orientation qu'elle entend donner à son enquête publique. Elle veut éviter d'autres morts comme celle de Michel Berniquez, pris de «délire agité» lors d'une intervention policière. Les audiences ont débuté hier au palais de justice de Montréal, huit ans après la mort du toxicomane de 45 ans.

Aux yeux de la coroner Kronström, les causes de la mort de M. Berniquez sont claires: il a fait de l'arythmie cardiaque durant une intervention policière alors qu'il venait de prendre de la cocaïne et de la méthamphétamine (speed). L'une de ses artères coronariennes était bloquée à 90%.

«L'asphyxie positionnelle et la brutalité (policière) ne sont pas des facteurs contributifs du décès», a-t-elle souligné, écartant d'emblée la thèse défendue par le Collectif opposé à la brutalité policière.

Michel Berniquez n'était pas un enfant de choeur. C'est sa mère qui l'a initié à la cocaïne lorsqu'il était adolescent. Il a fait de nombreuses fugues et a abouti dans un centre jeunesse, où il est resté jusqu'à sa majorité. Adulte, il a commis plusieurs vols.

Séjour à l'Institut Pinel

Trois mois avant sa mort, il a fait un séjour à l'Institut Philippe-Pinel. Il venait de s'en prendre à des policiers durant un épisode psychotique où il disait être le «démon». La Cour avait ordonné une évaluation psychiatrique.

La psychiatre chargée de l'évaluer, la Dre Kim Bédard-Charette, avait recommandé au tribunal que Berniquez soit déclaré non criminellement responsable en raison de ses troubles mentaux. En conséquence, son cas a été confié au Tribunal administratif du Québec.

Michel Berniquez a aussitôt quitté l'Institut Philippe-Pinel puisqu'il n'était plus en psychose. Il s'était engagé à se rendre à ses rendez-vous en consultation externe à l'hôpital du Sacré-Coeur, mais il n'y est jamais allé. La Cour a perdu sa trace. C'est la psychiatre Kim Bédard-Charette qui avait recommandé sa libération. Elle a été la première à témoigner à l'enquête du coroner.

«On est très régulièrement aux prises avec des cas comme celui de M. Berniquez, malheureusement, a dit la psychiatre. Une fois que le tribunal déclare une personne non criminellement responsable en vertu de l'article 16, on est tenu par la loi de prendre la décision la moins privative de liberté pour les patients.»

Le tribunal spécialisé en santé mentale et en toxicomanie, même s'il avait existé à l'époque, n'aurait pas aidé M. Berniquez, croit la psychiatre. Celui qui existe actuellement à la cour municipale de Montréal fonctionne sur une base volontaire. Il ne s'adresse pas aux accusés déclarés non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux. «Doit-on détenir tous les toxicomanes dans un hôpital de secteur pour éviter qu'ils ne récidivent? C'est la question qu'on doit se poser», a-t-elle dit à la coroner.

Réactions de la mère

La mère de Michel Berniquez et deux de ses soeurs assistent à l'enquête. «Ce n'était pas un gars excessivement violent. Il était malade et il avait peur de la police», a dit la mère, Laurie Thomas. Cette dernière réclamait d'ailleurs 70 000$ en dommages à la Ville de Montréal; un recours rejeté par la Cour du Québec le mois dernier. Mme Thomas n'avait plus de contact avec son fils depuis plus de 10 ans au moment de sa mort.

Le 28 juin 2003, Michel Berniquez s'était bagarré dans un stationnement de Montréal-Nord. Pourchassé par les policiers, il avait frappé l'un d'eux au visage et avait aussi tenté de saisir le bâton télescopique d'un agent. Il a continué de se débattre au sol une fois menotté. Il a reçu plusieurs coups de bâton, notamment au dos, qui lui ont causé des lésions. «Aucune de ces lésions n'est susceptible de l'avoir tué», a indiqué le pathologiste judiciaire André Lauzon, second témoin à l'enquête. L'enquête se poursuit aujourd'hui.

Enquête contestée

La mort de Berniquez avait été qualifiée d'accidentelle, mais la coroner en chef Danielle Bellemare avait néanmoins ordonné la tenue d'une enquête publique. Les policiers de la Ville de Montréal ont contesté cette décision devant les tribunaux. La Cour supérieure leur a donné raison, mais cette décision a été cassée par la Cour d'appel en mai 2010. La Cour suprême du Canada, cinq mois plus tard, a refusé d'entendre la cause.