Alors que le gouvernement vient tout juste de faire adopter une loi spéciale mettant fin à la grève des procureurs et juristes, mardi matin, le ministre de la Justice Jean-Marc Fournier a tenté de se faire rassurant malgré les manifestations de colères qui menacent de perturber le retour au travail.



Sortant du salon bleu où la pièce législative a fait l'objet d'un débat de 20 heures, M. Fournier a affirmé que le directeur des poursuites criminelles et pénales, Louis Dionne, a encore l'autorité pour diriger son service même si les procureurs ont réclamé sa démission, au cours des dernières heures.

«Me Dionne a toujours eu le respect de ses troupes, depuis le premier jour où il est là, a-t-il dit lors d'un point de presse. Et qu'il y ait une loi spéciale, qui met fin à une grève pour s'assurer que les services soient rendus ne fait pas de Me Dionne quelqu'un qui ne peut pas remplir ses fonctions. Au contraire, tout le monde est là pour servir la justice.»

La loi spéciale de retour au travail des procureurs et juristes du gouvernement du Québec a été adoptée mardi matin à l'Assemblée nationale par 61 voix contre 50.

Présentée lundi lors d'une séance extraordinaire, elle a fait l'objet d'un débat marathon qui a duré pendant près de 20 heures. La législation prévoit un retour au travail dès mardi après-midi.

Les 1500 procureurs et juristes de l'État étaient en grève depuis deux semaines. La loi lie les parties jusqu'en mars 2015.

Elle comprend une hausse salariale de six pour cent en cinq ans, alors que les 450 procureurs réclamaient un rattrapage salarial de 40 pour cent pour rejoindre la moyenne canadienne.

La présidente du Conseil du trésor, Michelle Courchesne, a par ailleurs reconnu le manque de personnel, en annonçant l'ajout de ressources.

Québec prévoit ainsi l'embauche de 80 procureurs, 40 recherchistes et 25 nouveaux juristes.

Le gouvernement a suscité non seulement la colère des procureurs, mais aussi de leurs supérieurs, les procureurs-chefs et procureurs adjoints, dont plus d'une vingtaine ont demandé une réaffectation à des postes non-cadres.

Alors que les procureurs évoquaient le chaos que cela pourrait causer, M. Fournier, sans dire que les choses allaient se passer normalement, a reconnu que le climat pourrait être «délicat».

«J'espère que ça va fonctionner, je vous laisse les qualificatifs», a-t-il dit.

M. Fournier a rappelé que M. Dionne a refusé les demandes de réaffectation des procureurs-chefs et leurs adjoints, dont certains ont demandé à redevenir simples procureurs.

«Il ne peut pas donner suite à ces demandes de réaffectation», a-t-il dit.

Le président de l'Association des procureurs aux poursuites et pénales (APPCP), Christian Leblanc, a rejeté toute possibilité de négocier avec le gouvernement, malgré les appels lancés par M. Fournier et Mme Courchesne, lors du débat sur la loi spéciale.

Selon M. Leblanc, qui a donné un point de presse à l'Assemblée nationale, cela démontre la stratégie du gouvernement, qui voulait forcer le retour au travail pour ensuite discuter.

«C'est particulièrement odieux de dire aux procureurs, après leur avoir imposé une loi spéciale: maintenant qu'on vous a retiré tout moyen de pression ou rapport de force, que vous êtes à la totale merci de l'employeur, venez vous asseoir et là on va négocier de bonne foi», a-t-il dit.

M. Leblanc a déclaré que les démissions des procureurs-chefs et des procureurs chefs adjoint, qui ne souhaitent plus être cadres, témoigne du désaveu de M. Dionne, ce qui démontre la nécessité qu'il parte.

«Les procureurs ne comprennent pas pourquoi Louis Dionne n'a pas pris la parole pour défendre l'institution et c'est pour ça que le lien de confiance est brisé», a-t-il dit.

M. Leblanc a affirmé que le DPCP relève du gouvernement, alors qu'il devrait plutôt être nommé par l'Assemblée nationale, comme d'autres dirigeants d'institutions, ce qui confère théoriquement une plus grande indépendance.

La chef péquiste Pauline Marois a affirmé que le gouvernement devrait réfléchir à remplacer M. Dionne, étant donné la réaction des procureurs.

«Il n'a plus la confiance des gens qu'il dirige, ce qui amène le gouvernement à devoir réfléchir sérieusement à cette question et voir à prendre la décision la plus judicieuse dans les circonstances», a-t-il dit.

Lors d'un point de presse qui a suivi le vote, Mme Marois a affirmé que l'adoption de la loi spéciale aurait des conséquences dévastatrices.

«Le gouvernement, par sa loi spéciale, voulait assurer la continuité des services juridiques, a-t-elle dit. Ce n'est pas le cas, c'est plutôt le chaos que va provoquer l'adoption de la loi spéciale. Nous sommes devant, actuellement, un système de justice complètement décapité.»