Le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP), Me Louis Dionne, s'accroche. Même si les procureurs réclament sa démission, il reste en poste.

«En pleine tempête, un capitane ne quitte pas son navire», a-t-il justifié dans un communiqué de presse. Il a refusé nos demandes d'interview.

Le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier, a indiqué qu'il n'avait pas l'intention de demander à Me Dionne de quitter son poste.

«Le lien de confiance (avec Me Dionne) est brisé», affirmait ce matin Me Christian Leblanc, président de l'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (APPCP). Me Leblanc réagissait peu après l'adoption de la loi spéciale 135, qui a forcé les 450 procureurs et 1000 juristes de l'État à cesser leur grève et retourner au travail à 13h aujourd'hui.

Les procureurs reprochent trois choses à Me Dionne. D'abord, son mutisme durant la crise. Ils auraient voulu que leur patron, Me Dionne, parle publiquement des conditions de travail difficiles de ses procureurs. Il ne l'a pas fait. Pourtant, même la présidente du Conseil du Trésor, Michelle Courchesne, avait reconnu que les procureurs travaillaient dans des conditions difficiles.

L'APPCP dénonce aussi que Me Dionne ait refusé hier la démission de 28 procureurs chefs et chefs-adjoints. Ces procureurs voulaient démissionner par solidarité avec leurs employés. Leur geste avait suivi la démission du chef du Bureau de lutte au crime organisé (BLACO), Me Claude Chartrand. Ces démissions n'avaient pas été orchestrées par l'APPCP, précise Me Leblanc. Il dit même avoir été «surpris» par ce geste d'appui.

Enfin, les procureurs remettent carrément en cause l'indépendance du DPCP. À la demande de Jean Charest, Me Dionne avait été nommé sous-ministre de la Justice de Marc Bellemare en 2003. Me Dionne était sous-ministre de la Sécurité publique avant d'être nommé DPCP en mars 2007. C'est le conseil exécutif, le ministère du premier ministre, qui l'avait choisi. Son mandat non renouvelable dure jusqu'en 2014.

Dans son communiqué, Me Dionne assure que «tout au long des négociations, il a fait valoir avec ardeur, aux autorités concernées, les problèmes importants» des procureurs. Il dit n'avoir «ménagé aucun effort», mais avoir évité de négocier sur la place publique.

Il invite maintenant ses procureurs à «reprendre le travail et à regarder vers l'avenir».

Isoler le juridique de l'exécutif

Le PQ, Québec solidaire et l'ADQ dénoncent aussi Me Dionne. «Il n'avait pas le choix d'accepter (les démissions des procureurs chefs et chefs-adjoints)», croit Pauline Marois. Elle pense qu'il «n'a plus la confiance des gens qu'il dirige» et que le gouvernement devrait «réfléchir sérieusement» à demander son départ.

Comme Mme Marois, Amir Khadir remet en question l'indépendance de Me Dionne.

Sylvie Roy, leader parlementaire de l'ADQ, va plus loin. Elle demande ouvertement à Me Dionne de démissionner. Le lien d'emploi entre Me Dionne et le conseil exécutif est problématique, selon elle. «Le judiciaire et l'exécutif doivent être séparés, c'est un principe inaliénable», lance-t-elle. Elle souhaite que ce soit l'Assemblée nationale qui nomme le prochain DPCP. C'est ainsi que sont choisis, entre autres, le directeur général des élections et la commissaire à l'éthique.

Au bureau du ministre de la Justice, on rappelle que c'est justement pour isoler le juridique de l'exécutif qu'on avait créé la fonction du DPCP en 2007. Le DPCP, un poste indépendant, rempli des taches qui relevaient auparavant du sous-ministre.

Autres négociations?

Lors des débats en Chambre, la ministre Courchesne indiquait que le gouvernement était toujours disposé à «poursuivre le dialogue» avec les procureurs et juristes pour améliorer leurs conditions de travail. Ces derniers ne considèrent pas sérieusement son invitation.

Pour eux, la main tendue du gouvernement ressemble à une autre gifle. « Comment voulez-vous qu'on se parle? Il y a une loi qui nous impose d'être assis à 13h à nos bureaux», réagissait Pierre Gagnon, porte-parole des juristes de l'État. Il qualifie les négociations de «mascarade». Selon lui, le lien de confiance avec le gouvernement est «brisé et anéanti». «Il reste seulement à contester la loi devant les tribunaux», évalue-t-il.

Les débats en Chambre se sont prolongés toute la nuit avant l'adoption de la loi vers 8h ce matin. Me Leblanc n'a pas aimé ce qu'il y a vu. «Le gouvernement scrappe la Couronne pour deux générations, et la moitié des ministres lisaient le journal pendant les débats. Ils n'écoutaient même pas», désespérait-il.

«Durant les débats, le gouvernement n'a jamais, jamais répondu aux questions de fond», ajoute Me Gagnon. Il questionne les priorités du gouvernement Charest, qui investira jusqu'à 200 millions $ dans le nouveau Colisée. Il précise ne pas opposer les deux projets, ni forcément s'objecter au futur Colisée. «Oui, l'un peut se faire, nuance-t-il. Mais l'autre doit se faire impérativement.»