C'est l'État qui paie les honoraires des avocats d'une trentaine de motards arrêtés dans l'opération SharQc. Et il les paie au moins deux fois plus cher que les procureurs de la Couronne chargés de faire condamner ces mêmes Hells Angels, selon ce qu'a appris La Presse.

Parmi les 156 personnes arrêtées dans la plus vaste opération antimotards de l'histoire canadienne, une trentaine d'accusés sont admissibles à l'aide juridique. Deux autres n'étaient pas admissibles de facto, mais ils se sont vu reconnaître le droit à un avocat payé par l'État après un examen de leurs actifs (requête Rowbotham).

En vertu des modifications à la Loi sur l'aide juridique qui ont été adoptées en septembre dernier en prévision des procès des Hells, ces avocats de la défense bénéficient d'un tarif bonifié. Ainsi, une trentaine d'avocats gagnent 750$ par jour pour l'audition de la requête en arrêt de procédure présentée par les Hells. Les audiences, qui se déroulent actuellement au centre judiciaire Gouin, doivent durer au moins un mois. Au moment des procès devant jury, le tarif des avocats sera majoré à 1050$ par jour.

Or, les procureurs de la Couronne chargés de faire condamner les motards sont payés de deux à quatre fois moins, selon leurs années d'expérience. En effet, le procureur de la Couronne au sommet de l'échelle salariale, qui compte plus d'une quinzaine d'années d'expérience, est payé 386$ par jour. Les moins expérimentés de l'équipe sont payés environ 1000$... par semaine. Une dizaine de procureurs de la Couronne affrontent une soixantaine d'avocats de la défense dans le dossier SharQc.

Les avocats de la défense pourront également se faire payer au même tarif une période de préparation équivalente à la durée anticipée de la preuve de la poursuite aux procès. Vu le grand nombre d'accusés, il pourrait y avoir plusieurs procès d'une durée estimée à neuf mois chacun. Cela coûtera des millions de dollars en honoraires d'avocats à l'État.

D'ici aux procès, si la requête en arrêt de procédure est rejetée, d'autres Hells et sympathisants des Hells présenteront des requêtes dans le but de faire rembourser leurs frais d'avocat par l'État. En effet, plus le processus sera long, plus ils seront nombreux à épuiser leurs ressources financières.

«Déséquilibre» dénoncé

L'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales (APPCP) s'indigne de ce «déséquilibre». «L'État a décidé de la valeur d'un avocat de la défense dans un superprocès. Nous ne nous opposons pas, évidemment, à ce que les accusés reçoivent l'aide de l'État pour respecter leur droit à une défense pleine et entière. Mais le même gouvernement lance le message que sa Couronne vaut moins que cela. C'est d'un ridicule consommé», dit Me Marlène Archer, membre du conseil d'administration de l'APPCP et procureure au Bureau de lutte contre les produits de la criminalité.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales du Québec, qui est le grand patron des procureurs, s'est refusé à tout commentaire et a renvoyé la question au Conseil du Trésor, où Harold Tremblay, responsable des communications, a préféré ne pas commenter l'affaire au motif que les tarifs de l'aide juridique ne sont pas établis par le Conseil du Trésor.

Quelque 450 procureurs de la Couronne sont en grève depuis le 8 février dernier. Hier, les procureurs ont maintenu la pression sur le gouvernement Charest en l'avertissant par voie de communiqué que non seulement ils ne se joindront pas à la nouvelle Unité de lutte anticorruption tant que durera leur conflit, mais ils ne poseront jamais leur candidature si on les force à rentrer au travail sous le coup d'une loi d'exception.

Les procureurs de la Couronne réclament un rattrapage salarial d'environ 40% pour atteindre la moyenne canadienne, mais se disent prêts à étendre ces augmentations sur plusieurs années. Ils demandent également des effectifs supplémentaires. La dernière offre patronale, avant le déclenchement de la grève, prévoyait des augmentations de salaire de 12% et l'ajout de 60 procureurs. Après avoir rompu les discussions lundi dernier, les parties sont revenues à la table des négociations jeudi.