Le gouvernement ne doit pas adopter une loi spéciale pour mettre fin à la grève, préviennent les procureurs de la Couronne et les juristes de l'État. «Ça aggraverait le problème. On serait encore plus débordés et découragés. Il risquerait d'y avoir des tonnes de départs», a averti hier Me Thomas Jacques, vice-président de l'Association des procureurs aux poursuites criminelles et pénales du Québec (APPCP).

Me Jacques précise toutefois ne pas encore anticiper une loi spéciale. «Le gouvernement nous en a déjà imposé une en 2005. Ce serait quand même odieux qu'ils nous refassent le coup.»

Une centaine de grévistes ont manifesté hier devant l'Assemblée nationale. Même si la grève perturbe déjà l'administration de la justice, le gouvernement évitait prudemment de parler de loi spéciale hier. «Je ne veux pas allumer de feu», expliquait le ministre de la Justice, Jean-Marc Fournier. Aucune rencontre n'était prévue entre les deux parties au moment d'écrire ces lignes hier soir.

Les 450 procureurs et 1000 juristes de l'État font front commun. Ils veulent un rattrapage salarial avec leurs homologues des autres provinces. Selon leur calcul, ils accusent un retard de 40% sur la moyenne canadienne (voir autre texte). L'APPCP demande en outre qu'on engage 200 nouveaux procureurs. Québec proposerait un rattrapage de 10 à 12%, et 60 nouveaux procureurs.

Les procureurs sont «débordés», déplore le président de l'APPCP, Me Christian Leblanc. Le Québec compte un procureur pour 15 600 habitants. Au Canada, la moyenne est d'environ 1/11 000. Les délais en justice criminelle ont augmenté de 55% en 10 ans. Le Vérificateur général calcule que 127 000 nouveaux dossiers en attente se sont ajoutés depuis cinq ans.

Selon la présidente du Conseil du trésor, Michelle Courchesne, la grève est «prématurée». Elle reconnaît que les procureurs et juristes de l'État sont moins payés que leurs homologues du reste du Canada, et que leurs conditions de travail sont «difficiles». Mais elle refuse de combler complètement l'écart estimé à 40%. «C'est vraiment impossible», dit-elle. Québec doit «garder l'équité avec les autres employés de l'État» et aussi «respecter la capacité de payer des contribuables». Malgré tout, elle qualifie son offre de «très généreuse». Mme Courchesne explique que cette offre touche autant à la rémunération qu'à l'embauche et à d'autres doléances des procureurs, comme la difficulté de recruter en région ou les longues heures de travail.

Contre le pouvoir de grève

Paradoxalement, les grévistes répètent qu'ils ne voulaient pas du pouvoir de grève. Ils préféraient un mécanisme d'arbitrage neutre.

Au début des années 2000, les procureurs n'avaient pas de mécanisme pour régler un conflit avec le gouvernement au sujet de leurs conventions collectives. Ils s'en étaient plaint à l'Organisation internationale du travail, un organisme onusien. On leur a donné raison.

«Nous demandions le droit d'arbitrage, pas le droit de grève, rappelle Me Jacques. Ce n'est pas notre rôle de descendre dans la rue pour négocier nos conditions de travail. Quand ils étaient dans l'opposition, les libéraux étaient d'accord avec ce principe. Mais peu après leur élection en 2003, ils nous ont imposé au lieu le droit de grève.»

Le ministre Fournier explique que c'est le gouvernement, et non un tiers, qui doit décider comment l'argent des contribuables sera dépensé.

Alors que Mme Courchesne affirme qu'elle sent d'abord chez les procureurs et juristes une «volonté d'exercer un droit de grève», ces derniers affirment carrément que le gouvernement est de «mauvaise foi». «On était prêts à négocier le 15 avril dernier», dit Me Leblanc. Il affirme que durant plusieurs mois, les négociateurs du gouvernement n'avaient pas le mandat de parler de salaires, d'aménagement de temps de travail ou d'harcèlement psychologique au travail. «Il a fallu qu'on annonce une assemblée générale en décembre dernier pour que la ministre nous promette que les négociateurs auraient les mandats nécessaires. (...) On assiste à une pièce de théâtre où le gouvernement fait semblant de négocier, mais nous pousse vers la grève en espérant se donner une excuse pour décréter nos conditions de travail, comme il l'a toujours fait d'ailleurs.»