C'est une victoire en demi-teinte pour Stephan Hashemi, fils de la photojournaliste montréalaise Zahra Kazemi, torturée et assassinée dans une prison de Téhéran en 2003: il pourra demander réparation à l'Iran devant un tribunal canadien, a décidé le juge Robert Mongeon, de la Cour supérieure du Québec, dans un jugement rendu mercredi. En revanche, la possibilité d'un recours pour le préjudice subi par Mme Kazemi elle-même est écartée: en vertu de la Loi sur l'immunité des États, les pays étrangers ne peuvent être poursuivis au Canada, sauf pour des conflits commerciaux.  

En prenant connaissance de la décision, mercredi, Stephan Hashemi a d'abord été déçu et choqué: «Ça me révolte que le système ne favorise pas les gens mais les intérêts de l'État. Si ma mère avait été une femme d'affaires et non une journaliste, elle aurait eu droit à tous les recours.» Au fil de la lecture du jugement de 57 pages, M. Hashemi a toutefois vu une possibilité de poursuivre, en son nom, l'Iran, l'ayatollah Khamenei, le responsable de la prison d'Evin et le procureur de Téhéran. «C'est quand même positif», croit-il.

Zahra Kazemi a été arrêtée en juin 2003 en Iran alors qu'elle photographiait une manifestation. Jetée en prison, elle a été interrogée, battue, torturée et agressée sexuellement par ses geôliers pendant près de deux semaines. Son état physique s'est rapidement dégradé, et elle est morte peu après son transfert à l'hôpital. Son fils, aujourd'hui âgé de 33 ans, reste traumatisé par la perte de sa mère. Il pourra donc réclamer, en raison de ce préjudice, réparation au régime iranien.

Une première au Canada

«Ce sera la première fois au Canada qu'il y aura un procès pour des allégations de torture à l'étranger, se réjouit l'avocat de Stephan Hashemi, Matthieu Bouchard. Un tribunal canadien pourra examiner des actes de violence selon les règles de procédure et de preuve en vigueur ici. Il va y avoir une véritable enquête sur cette base, et d'autres Canadiens pourront en bénéficier.»

Pour Stephan Hashemi, ce jugement marque une nouvelle étape dans le long processus juridique entamé à la mort de sa mère. «On a engagé cette poursuite en 2006, après le refus du Canada de saisir la Cour internationale de justice, ce qui aurait quand même été plus facile. C'était notre dernier recours, et nous croyions que le gouvernement iranien n'en tiendrait pas compte. Finalement, nous avons été étonnés qu'ils prennent un avocat ici, ce qui est très bien.»

Stephan Hashemi souhaite interjeter appel de la partie du jugement qui rejette un recours pour sa mère. Joint par La Presse jeudi, le cabinet d'avocats montréalais qui représente l'Iran n'a pas voulu commenter le jugement. La bataille juridique risque de se poursuivre pendant plusieurs années encore, mais Stephan Hashemi croit à la justesse de sa cause. «Je ne peux pas oublier et continuer ma vie comme si de rien n'était», dit-il.

Importance symbolique

Ce jugement revêt une importance très symbolique pour les exilés iraniens, croit pour sa part Shahrzad Arshadi, militante des droits de l'homme et amie de M. Hashemi. «Ça nous donne beaucoup d'espoir. On ne peut peut-être pas changer la photo d'ensemble, mais cela nous laisse espérer que tous ces criminels peuvent être punis et que, quelque part, dans le monde, ils devront répondre de leurs actes», dit celle qui a fui l'Iran quelques années après la révolution islamique.

Matthieu Bouchard croit pour sa part que la bataille menée contre l'Iran devrait être non seulement juridique, mais aussi politique: «Comme société, il faut que l'on se demande si c'est acceptable de protéger des poursuites des régimes comme celui de l'Iran. On reconnaît maintenant que la torture est un crime immonde, ce que l'on ne reconnaissait pas quand la Loi sur l'immunité des États est entrée en vigueur. On peut donc se demander si le droit international doit évoluer en fonction des droits de la personne.»