Valery Fabrikant, qui a tué quatre professeurs de l'Université Concordia le 24 août 1992, était de retour devant la Cour supérieure, lundi, pour «continuer» le procès civil qu'il a intenté contre cinq anciens collègues. C'est la Cour d'appel qui a ordonné que le procès reprenne là où il avait été abruptement interrompu, il y a un peu plus de trois ans.

Le tueur réclame 600 000$ à ces professeurs, à qui il reproche d'avoir profité indûment des fruits de son labeur dans des écrits scientifiques cosignés qui ont été publiés dans les années 80. Fabrikant avait intenté cette poursuite en avril 1992, soit quelques mois avant que, dans une sorte de délire de persécution et de suprématie personnelle, il n'entre armé à l'université et n'abatte quatre collègues. Il a d'ailleurs écopé de la prison à vie pour ces crimes.

En ce qui concerne le procès civil dont il est question ici, il a commencé en novembre 2007 devant le juge Gilles Hébert. Poussé à bout par l'attitude cynique et agressive de Fabrikant, le juge s'était toutefois récusé après trois jours. Le procès a été confié à la juge Hélène Morneau, qui s'est montrée bien patiente au début. Mais elle aussi a été exaspérée au bout de quelques jours. Elle a mis fin au procès le 26 novembre 2007 au motif qu'il s'agissait d'un abus de procédure, que Fabrikant prenait plaisir à voir souffrir ceux qu'il poursuivait et que, de toute façon, son recours était déjà prescrit quand il l'avait intenté, en 1992.

Fabrikant a porté cette décision en appel, où il a obtenu gain de cause, du moins en partie. La juge aurait dû permettre à Fabrikant de s'exprimer avant de mettre fin au procès, a conclu la Cour d'appel en février 2010. Du coup, le plus haut tribunal de la province a ordonné que le procès reprenne là où il avait été interrompu. C'est le juge en chef de la Cour supérieure lui-même, François Rolland, qui a décidé d'entendre la suite du procès. «Je ne voulais pas imposer cela aux juges», a fait valoir le juge Rolland lundi matin.

Récriminations

Fabrikant est présent en cour, contrairement à d'autres audiences qu'il devait suivre par vidéo. Fidèle à lui-même, celui qui aura 71 ans dans quelques jours avait encore des récriminations à faire valoir, lundi. Il manquait un témoin, des documents avaient été égarés, il aurait voulu que le juge Rolland se récuse... «C'est vous qui m'avez déclaré plaideur quérulent en 2000», a fait remarquer le petit homme au juge. Mais le magistrat a signalé que cette affaire était vieille de 19 ans et qu'il entendait la mener à terme une fois pour toutes.

L'homme reste toujours accroché à ses vieilles lubies et se considère manifestement comme plus malin que tout le monde. Le juge doit sûrement faire bien des efforts pour ne pas perdre patience. Ce n'est pas le cas du fils de Fabrikant, un homme d'une trentaine d'années. Assis dans la salle d'audience, il semble boire littéralement les paroles de son père. Quand ce dernier pavoise ou s'esclaffe, persuadé d'avoir mis en boîte son vis-à-vis, le visage du fils s'éclaire d'un fier sourire.

Lundi, après avoir réglé les questions d'intendance, le professeur Tom S. Shankar s'est avancé à la barre pour reprendre le procès là où il avait été interrompu il y a trois ans. C'est lui qui avait donné sa chance au petit immigré russe, en 1979, en le faisant embaucher comme chercheur à l'Université Concordia. Lundi, Fabrikant a fait ressortir que le témoin n'avait rien publié depuis 20 ans alors que lui, même en prison, continue à publier des articles scientifiques. Le procès se poursuit aujourd'hui.