C'est d'une voix faible, presque d'outre-tombe, que Marc Labrèche, un homme en phase avancée du sida et qui lutte aussi contre un cancer du foie, a raconté, hier, comment un voisin a été tué sous ses yeux, dans son appartement de Cartierville, l'après-midi du 27 novembre 2008.

M. Labrèche, 46 ans, témoignait au procès de Tharoul Ménard, 29 ans, accusé du meurtre prémédité de Tidiani Keita, 25 ans. Atteint de 23 coups de couteau, le malheureux est mort sur place, dans l'appartement 2 du 12 200, rue Lachapelle.

Suspecté dès le départ

Comme le crime s'était produit dans le logement de M. Labrèche et que ce dernier avait fui les lieux, il a été suspecté dès le départ. Quand il est revenu chez lui, le soir même, avec ses vêtements tachés de sang, de nombreux policiers étaient là. Il a été arrêté et emmené au poste de police. Il a été relâché après un long interrogatoire, au cours duquel il a soutenu que c'était son fournisseur de drogue, Tharoul Ménard, qui avait commis le crime devant lui.

Selon le récit de M. Labrèche, Charles (surnom de l'accusé) était son fournisseur de crack. Il s'est présenté chez Labrèche dans l'après-midi du 27 novembre 2008 et lui a demandé de faire venir Tito (surnom de la victime).

Charles et Tito s'étaient battus quelques mois auparavant pour une affaire de drogue, et Tito avait eu le dessus. Charles se plaignait qu'il ne pouvait plus s'approcher de Tito depuis, car ce dernier s'enfuyait quand il le voyait. C'est pourquoi il a demandé ce service à Labrèche, qui a accepté. Tito, qui habitait à l'étage au-dessus, a accepté d'aller fumer un joint chez Labrèche. Quand il est arrivé chez Labrèche, Charles a surgi par la porte arrière et s'est élancé sur Tito.

«Charles est arrivé en sauvage. Tito n'a pas eu le temps de réagir. J'ai vu un couteau, il ne lui a pas donné de chance, rien, ça s'est fait vite, ça n'a pas d'allure. Il vargeait dessus», a raconté Labrèche.

Il se souvient que Tito, un déménageur grand et musclé, s'est précipité vers la porte avant en disant: «C'est un malade, ouvre-moi la porte.» Mais Tito s'est effondré dans le corridor avant d'atteindre la porte, et il est mort.

La fuite

Craignant pour sa propre vie, Labrèche a fui pendant que Charles et l'ami qui l'accompagnait sont partis de leur côté.

Labrèche s'est alors rendu chez un ami alcoolique qui habite non loin. Ils ont consommé en discutant et en regardant la télévision. Il n'a pas raconté ce qui venait de se passer chez lui, et l'autre ne lui a pas demandé pourquoi il avait du sang sur ses vêtements. Dans la soirée, Labrèche a décidé de rentrer chez lui, et c'est là qu'il a été arrêté. Les jambes lui ont fléchi quand on lui a dit qu'on l'arrêtait pour meurtre. «Je ne suis pas violent. Je ne peux pas me battre», a-t-il dit en faisant allusion à son extrême faiblesse.

En contre-interrogatoire, Me Gunar Dubé a questionné le témoin sur ses antécédents. Il a aussi été question de sa consommation ainsi que des nombreux médicaments qu'il prend. M. Labrèche a expliqué qu'il a travaillé comme soudeur pendant 21 ans. Il y a une dizaine d'années, il s'est mis à «tomber sans connaissance» un peu partout au travail. On lui a fait passer des tests et il a appris qu'il avait le VIH. Il admet que, dans les années 90, il s'est injecté de la cocaïne et a échangé des seringues. Sa conjointe des 23 dernières années a la même maladie. Il ne sait pas qui l'a donnée à l'autre. M. Labrèche considère que sa vie a bien changé avec la maladie et qu'il s'est assagi. «Avant, en santé, je n'étais pas un cadeau», a-t-il dit.

Le procès devant jury est présidé par la juge Johanne St-Gelais, nouvellement nommée à la magistrature. Il se poursuit aujourd'hui.