La quête inusitée d'un auteur québécois pour découvrir l'implication d'un éminent avocat montréalais dans l'assassinat de John F. Kennedy connaît un développement inattendu, au moment où l'on souligne le 47e anniversaire de l'assassinat du 35e président américain.

Une bataille judiciaire qui s'est échelonnée sur près de cinq ans et qui s'est terminée plus tôt cette année a poussé Bibliothèque et Archives Canada (BAC) à revoir ses manières de faire, quand vient le temps de rendre publics des documents gardés aux archives et qui sont touchés par le secret professionnel des avocats.

Les changements devraient entrer en vigueur en janvier. On ignore pour l'instant la forme qu'ils prendront. Mais déjà, on songerait à l'étendre à l'ensemble des professions touchées par la même obligation de ne pas divulguer les confidences reçues au travail.

Histoire rocambolesque

Pour comprendre les raisons de ces changements, il faut remonter le fil d'une histoire rocambolesque, jusqu'à la fin des années 70, avec, en toile de fond, l'un des plus grands mystères du XXe siècle.

En 1979, Louis M. Bloomfield, éminent avocat montréalais, cède plusieurs boîtes de documents à Bibliothèque et Archives Canada (BAC).

De 1930 à 1970, Me Bloomfield avait mené une brillante carrière en droit international au sein de l'étude Phillips, Bloomfield, Vineberg et Goodman. En plus d'écrire quatre livres, de se retirer des Forces armées canadiennes après la Seconde Guerre mondiale avec le rang de major et de siéger à plusieurs conseils d'importance, il a représenté de nombreux clients prestigieux, partout dans le monde.

Le Fonds Louis M. Bloomfield, comme on le désigne à l'organisme fédéral, est composé de ses documents personnels et professionnels. Il contient entre autres des correspondances avec l'ex-président américain George Bush, ainsi que des lettres échangées avec les anciens premiers ministres John Diefenbaker, John Turner et Joe Clark.

Comme condition, Me Bloomfield demande que le fonds soit ouvert au public 20 ans après son décès. Entre-temps, il nomme sa femme exécutrice littéraire.

«Impossible»

Louis M. Bloomfield est décédé en 1984. Or, plusieurs années avant sa mort, des rumeurs inusitées avaient commencé à circuler sur son compte: en raison de la position d'actionnaire important qu'il aurait occupée dans la société italienne Permindex, certains l'associent à l'assassinat de John F. Kennedy.

Selon des théoriciens du complot, en effet, Permindex a servi de façade à la CIA pour orchestrer le célèbre attentat. Cette thèse rejoint celle de Jim Garrison, procureur de La Nouvelle-Orléans dont l'enquête a été racontée en 1991 par le réalisateur Oliver Stone dans le film JFK. À noter que le film ne mentionne pas Me Bloomfield.

Mais la rumeur est à ce point répandue qu'un matin, près de son bureau de la côte Beaver Hall, l'avocat trouve un dépliant qui évoque cette théorie, sous l'essuie-glace d'une voiture. «Il était véritablement atterré», se souvient son neveu, Harry Bloomfield.

«Il est complètement impossible que mon oncle ait mené quoi que ce soit d'autre qu'une vie complètement impeccable, parfaite, correcte, comme l'un des plus importants avocats canadiens en droit international», tranche-t-il.

Feuilleton judiciaire

La théorie sur l'implication de Louis M. Bloomfield dans l'assassinat de John F. Kennedy a quand même fait son chemin. Pas étonnant, donc, que 20 ans presque jour pour jour après son décès, un passionné du dossier ait fait une demande formelle pour avoir accès au Fonds Bloomfield. Le demandeur, Maurice Phillips, est l'auteur du livre De Dallas à Montréal, La filière montréalaise dans l'assassinat de JFK.

Or, cette demande d'accès au fonds est refusée en 2004. La raison invoquée est que la veuve de l'avocat, pour protéger sa vie privée et sauvegarder la réputation de son mari, a demandé à BAC de ne pas rendre ces documents publics avant 10 ans après sa propre mort.

En désaccord, Maurice Philipps conteste cette décision devant les tribunaux. Le feuilleton judiciaire qui a suivi a duré cinq années, durant lesquelles il s'est représenté lui-même. Ses derniers efforts ont échoué en mars 2010, lorsque trois juges de la Cour d'appel fédérale ont confirmé la décision du gouvernement.

Nouvelles règles

Mais ses démarches n'auront pas été complètement vaines. D'abord, le motif basé sur la volonté de la veuve de M. Bloomfield a été jugé invalide. BAC a par conséquent décidé de rendre une majorité de documents publics, sauf ceux touchés par le secret professionnel, qui ont été soumis à une restriction de 50 ans à partir de la date de leur création.

Jusqu'ici, Maurice Philipps aura pu consulter près de 75% du fonds. Il attend maintenant impatiemment que les prochains documents soient rendus publics, en janvier prochain.

Mais le seront-ils vraiment?

Selon les normes du Barreau du Québec, par exemple, le secret professionnel survit à la mort de l'avocat et est en quelque sorte éternel, sauf si le client accepte que les informations qui le concernent soient divulguées. Il est donc possible que la limite de 50 ans imposée par BAC pour le Fonds Bloomfield, ou même celle de 80 ans prévue dans ses directives internes comme limite maximale dans le cas de documents touchés par le secret professionnel, contrevienne à cette règle.

«Les magistrats nous ont indiqué qu'on aurait peut-être intérêt à revoir notre politique à la lumière du droit canadien et c'est ce qu'on va faire», s'en est tenu à dire un porte-parole de BAC, Fabien Lengellé, au sujet de la révision en cours.

Et JFK?

Évidemment,  M. Philipps continue à espérer d'avoir accès au reste du fonds le plus rapidement possible.

Selon lui, les documents qu'il a pu consulter jusqu'ici démontrent que «la partie qui décrit Bloomfield comme "l'architecte de l'assassinat" est une conclusion fausse, basée sur des faits incomplets», dit-il.

Mais il croit que le Fonds Louis M. Bloomfield a encore bien des secrets à révéler.

«Seule une minorité des documents liés à Permindex sont maintenant accessi­bles au public, à savoir ceux datant d'avant 1960 et qui ont plus de 50 ans, note-t-il. Les documents d'après 1961 sont gardés secrets par BAC et, particulièrement, ceux des années 1962 et 1963.»