Le chef des Bo-Gars, Chénier Dupuy, avait épinglé dans son appartement les règles de survie du parfait gangster. Pour survivre, il faut connaître ses ennemis. L'homme de 34 ans en avait beaucoup, si l'on se fie à cette liste.

Aux côtés du mot «guerre», on peut lire: «sdiq, Cz, KB, Bigwill, Rat, spaguetti (sic)». D'après un expert en gangs de rue du Service de police de la Ville de Montréal, le chef du gang des Bo-Gars, qui sévit depuis près de 20 ans à Montréal-Nord, était en conflit avec plusieurs organisations criminelles: les Syndicates (sdiq), les gangs d'allégeance bleue des Crips (Cz) et des Krazz Breez (KB), les motards (Bigwill) et la mafia («spaguetti») comptaient parmi ses ennemis.

C'est ce qu'ont permis d'apprendre les plaidoiries sur la peine du trafiquant de drogue, hier, au palais de justice de Montréal. Au terme d'un procès, le 16 avril dernier, Dupuy a été reconnu coupable sous quatre chefs de possession de stupéfiants en vue d'en faire le trafic. Le gangster au lourd passé criminel a donc échoué à respecter au moins l'une de ses règles: «No jail (prison) fini».

Six mois de prison

Dupuy, alias Big, a vraisemblablement écrit ses règles de survie à sa sortie de prison, en septembre 2008, après avoir purgé une peine de six mois pour une histoire de possession d'arme à feu. Trois jours plus tard, il a échappé à une tentative de meurtre au bar de danseuses Solid Gold. Dupuy s'était récemment associé à quatre autres criminels d'origine haïtienne pour contrôler le trafic de stupéfiants à Montréal-Nord et à Rivière-des-Prairies, selon la police.

Le SPVM l'a finalement arrêté un mois plus tard, en octobre 2008, à bord d'une Lexus dont le coffre contenait 2,3 kg de marijuana. Une perquisition menée à Laval dans l'appartement qu'il partageait avec sa copine du moment, Stéphanie Castrilli, a permis de saisir une importante quantité de marijuana, de cocaïne et de crack, ainsi que la fameuse liste des «dix règle (sic) de survi (sic)», qui en contenait... onze.

On y apprend que tout bon gangster doit payer ses impôts et ses contraventions. Il doit bien choisir son équipe («select le team») et donner 10% de ses revenus au propriétaire du bar qui lui permet d'écouler sa drogue ou de faire travailler ses danseuses. Sans oublier 25% au «rat» - le représentant de l'organisation criminelle ou l'organisation en soi qui contrôle le bar, toujours selon l'expert en gangs de rue du SPVM, Jean-Claude Gauthier.

Emmener sa «pitoune» en vacances

Il faut aussi prendre des vacances avec sa «pitoune» et «régler l'ordre dans le désordre», selon le gangster. Il prévoyait aussi une certaine «expansion» à Montréal et en Ontario, a expliqué le sergent-détective Gauthier. Dans le box des accusés, le chef des Bo-Gars a semblé désapprouver cette analyse. Toutefois, lorsque le temps est venu de témoigner, il n'a pas parlé de cette liste.

Dupuy, qui porte en tatouage l'inscription «Only stronger survive», a nié fermement être membre d'un gang de rue.

Il dit être victime de l'acharnement des policiers. Il tutoyait le procureur de la Couronne et s'est même adressé au juge Jean-Pierre Boyer en lui disant «yo, man». Le juge, visiblement irrité, l'a rappelé à l'ordre: «Arrêtez d'agir en victime et de minimiser vos crimes. Agissez en homme!»

De nombreuses relations

Dans un document du SPVM, on apprend que Dupuy a des liens avec une cinquantaine de membres et de «relations» des Bo-Gars. Parmi eux, il y a le chanteur hip-hop King, dont le véritable nom est Fritzgerald Michel.

«On était tous dans la même classe à l'école Henri-Bourassa», a expliqué celui qui a grandi à Montréal-Nord. «Ce n'est pas mon rôle de dire qui est membre de gang», a-t-il poursuivi.

Dupuy se décrit comme un homme d'affaires qui a investi dans un salon de coiffure et une maison de disques.

Aux yeux de la police, il est plutôt le chef d'une organisation criminelle qui, depuis le début des années 90, commet des meurtres et se livre au proxénétisme ainsi qu'au trafic de stupéfiants.

La Couronne, représentée par Me David Simon, réclame huit ans d'emprisonnement, auxquels il faut soustraire un peu plus de quatre ans (deux ans en détention préventive, qui comptent double). L'avocat de Chénier Dupuy, Me Serge Lamontagne, plaidera pour sa part le 17 décembre.