La Cour d'appel de l'Ontario a décidé jeudi que les lois canadiennes sur la prostitution demeureront en vigueur jusqu'au 29 avril prochain dans cette province, permettant aux gouvernements fédéral et provincial de faire appel de la décision de la Cour supérieure.

Les travailleuses du sexe pourront toutefois un jour faire vivre leur famille en toute légalité, et travailler au Canada sans craindre la violence, ont prédit jeudi des avocats.

Les lois interdisant la tenue d'une maison close, la promotion de services de prostitution et de vivre du fruit de ce commerce avaient été invalidées en septembre par la Cour supérieure de l'Ontario, mais ce jugement était suspendu quelques mois, pour qu'Ottawa ait le temps de réagir. Cette suspension venait à échéance la semaine dernière.

Depuis, les gouvernement fédéral et ontarien ont fait appel du jugement, et ils souhaitaient que cette suspension soit maintenue jusqu'à ce que la Cour d'appel se prononce sur le fond.

La «dominatrice» Terri-Jean Bedford, l'une des trois travailleuses du sexe au coeur de cette affaire, a annoncé jeudi, à l'extérieur du tribunal, qu'elles finiront par gagner un jour.

Elle a, de plus, laissé entendre que le premier ministre Stephen Harper se cache derrière les tribunaux dans cet épineux dossier, et l'a mis au défi de «se battre comme un homme».

«Il peut retirer son appel à tout moment et modifier la loi via le parlement», a-t-elle dit. «Son silence signifie qu'il ne sait pas quoi faire et qu'il ne s'intéresse pas à la violence faite aux femmes.»

Le premier ministre a rétorqué jeudi que son gouvernement soutenait les lois et qu'il entendait se battre en appel pour qu'elles demeurent en vigueur. «Nous croyons que la prostitution est mauvaise pour la société», a dit M. Harper. «C'est une position forte tenue par notre gouvernement et, je crois, par la plupart des Canadiens.»

Même avec toute la force du gouvernement fédéral contre elle, Mme Bedford a maintenu qu'elle continuerait à se battre pour la sécurité d'autres femmes. «Les seuls qui profitent actuellement de cette loi sont les gens pratiquant l'évasion fiscale et le crime organisé», a-t-elle lancé.

Le gouvernement fédéral soutenait que si le jugement n'était pas suspendu en attendant l'appel, le Canada serait plongé dans «une expérience sociale sans précédent au pays», le parlement n'ayant pas eu le temps de rédiger une législation alternative.

L'avocat Alan Young, représentant les travailleuses du sexe dans l'affaire, avait pour sa part plaidé que puisqu'un juge avait déclaré que les lois «contribuaient au danger auquel faisaient face les prostituées», elles devaient donc être annulées immédiatement.

Le ministre fédéral de la Justice, Rob Nicholson, a déclaré jeudi que le gouvernement était satisfait de la suspension du jugement, soutenant que des maux «considérables» provenaient de la prostitution sans barrières.

Pour Nikki Thomas, directrice adjointe des Sex Professionals of Canada, l'entrée en vigueur du jugement de la Cour supérieure ne signifierait pas que les prostituées envahiront les terrains de jeu et amèneront l'anarchie sexuelle dans les rues.

«Tout ce que vous verrez, c'est l'un des groupes les plus marginalisés du pays qui pourra finalement s'occuper de sa propre sécurité», a-t-elle dit.