Pour infiltrer l'économie légale, les motards criminels ont recours à des prête-noms. Leurs proches, et même leur femme, servent souvent de couverture. Une récente décision de la Régie des alcools, des courses et des jeux, que La Presse a obtenue, illustre ce stratagème.

En se penchant sur une demande de déménagement du bar Le Cocktail, à Joliette, la Régie s'est rendu compte que le titulaire du permis, Michel Arsenault, voulait s'installer dans un immeuble du centre-ville appartenant à une société à numéro, dont la véritable propriétaire est la femme d'un Hells Angel du chapitre de Trois-Rivières.

La Régie ne soupçonne pas Michel Arsenault d'être lié aux Hells Angels, mais elle craint que son bar serve de lieu pour écouler la drogue de l'organisation criminelle, peut-on lire dans la décision rendue le 10 novembre. Il y a un «risque d'infiltration du crime organisé dans l'établissement et une perte de contrôle par le titulaire» du permis, selon un policier de la Sûreté du Québec, Nicolas Pichette, dont le témoignage a été retenu par les régisseurs.

L'unique actionnaire et administratrice de 6851878 Canada Ltée est Anne Hébert, conjointe de Marcellin Morin, membre en règle des Hells Angels de Trois-Rivières. Morin est recherché depuis le 15 avril 2009 pour meurtre, trafic de stupéfiants et gangstérisme dans le cadre de l'opération SharQc.

Prête-noms

Les Hells Angels ont peu d'actifs à leur nom et utilisent des proches comme prête-noms, a indiqué un autre enquêteur de la Sûreté du Québec, Alain Belleau, cette fois-ci de la section des renseignements. Le fait que Mme Hébert loue le local de l'établissement augmente les risques de trafic et la prise de contrôle par le crime organisé, a ajouté ce témoin expert.

Anne Hébert n'est pas recherchée par la police et n'a pas d'antécédent judiciaire, nuance la Régie. Michel Arsenault non plus. Le tenancier a d'ailleurs dit dans son témoignage qu'il ignorait que Mme Hébert était la conjointe d'un motard. Or, la Régie s'interroge sur «l'invisibilité de Mme Hébert» puisque la partie représentant le tenancier de bar ne l'a pas assignée comme témoin. M. Arsenault a déjà eu des problèmes avec des employés qui ont vendu des stupéfiants dans l'un de ses bars, mais il a pris les moyens nécessaires pour que cela ne se reproduise plus, a tout de même retenu la Régie.

Caméras

Le tenancier a promis d'installer au moins six caméras ainsi que des affiches les annonçant dans son bar. La Régie lui a permis de déménager dans l'immeuble de la femme du motard criminel à condition que ces caméras, qui maintiendront un lien direct 24h sur 24 avec la police, soient bel et bien installées. Elle lui a également imposé une suspension de permis d'une durée de 35 jours à la suite d'une proposition conjointe entre les procureurs concernant la vente de drogue qui s'est déroulée au Cocktail dans le passé.