Ils sont tous là: le juge, les procureurs de la Couronne, les avocats de la défense, la greffière, l'huissier, les accusés, les victimes, les témoins. Ils sont tous là, sauf un: le constable spécial. Parce que ce dernier n'est pas là pour monter la garde dans la salle d'audience, la cour est paralysée.

Cette situation désespérante se produit de plus en plus souvent au palais de justice de Montréal. Mercredi dernier, sept salles d'audience n'ont pu fonctionner en matinée parce qu'il n'y avait pas de constables spéciaux. À titre d'exemple, un procès de fraude de deux semaines, concernant deux accusées et une vingtaine de témoins, a été abruptement interrompu pour la deuxième fois en l'espace de quelques jours. «La semaine dernière, on a perdu toute une journée. Il a fallu remettre la cause au lendemain», a indiqué Me Gary Martin, avocat en défense dans cette cause. Mercredi dernier, ce même procès a été paralysé toute la matinée, mais il a finalement pu reprendre en après-midi. On grogne dans les couloirs du palais de justice.

«C'est intenable, on perd un temps énorme, convient la juge coordonnatrice adjointe, Ruth Veillet. Ça fluctue d'une journée à l'autre. Certains jours, c'est complet, et d'autres, il peut en manquer cinq ou onze...» La juge coordonnatrice dit s'être plainte à différentes instances. On a invoqué les absences pour maladie ponctuelles et à long terme, et le fait que le palais de justice Gouin fonctionne régulièrement à deux salles ces temps-ci, ce qui nécessite des constables spéciaux. De possibles moyens de pression de la part des constables ont aussi été évoqués.

Serge Lefrançois, président du Syndicat des constables spéciaux du gouvernement du Québec, nie tout moyen de pression en ce sens. «On est en moyens de visibilité», dit-il, en assurant que le seul moyen qu'utilisent les membres est le port du pantalon camouflage. Selon M. Lefrançois, il faudrait 40 constables spéciaux de plus pour répondre adéquatement aux besoins à Montréal. Il estime que le manque découle d'un problème de rétention, parce que les salaires ne sont pas assez élevés (de 37 000$ à 47 000$). «Après leur formation à Nicolet, les constables viennent travailler au palais un bout de temps, puis ils s'en vont pour des emplois plus payants.» Les constables réclament un rattrapage salarial avec les autres agents de la paix, explique M. Lefrançois.

Sécur-Action

Mario Vaillancourt, porte-parole du ministère de la Sécurité publique, affirme que le Ministère prend tous les moyens nécessaires pour régler la situation. Le fait que l'agence Sécur-Action ait été remerciée, en septembre, n'a certes pas aidé. Une quinzaine de personnes de cette agence travaillaient au palais, selon M. Vaillancourt. Leurs postes doivent actuellement être comblés par les constables spéciaux du palais.

Il y a enfin les fameux portiques de sécurité, installés depuis l'année dernière, qui gardent deux moitiés de paliers sur les quatre consacrés aux causes criminelles. Pour les observateurs, il est assez cocasse de constater qu'on compte souvent trois, quatre ou cinq constables spéciaux à chacun des ces portiques pour fouiller minutieusement témoins, traducteurs et journalistes, alors que des salles d'audience ne peuvent ouvrir pour cause d'absence de constable.