Toute sa vie, Jérémie* a été en colère contre elle. À 15 ans, il décide de l'éliminer.

À 6 ans, Jérémie* est déjà très agressif envers sa mère, qui l'élève seule depuis sa naissance. Elle l'amène consulter un psychologue. Rien ne change.

Jérémie grandit, mais sa colère ne s'apaise pas. Il frappe sa mère, la bouscule, l'insulte et lui lance des objets. À 15 ans, il décide de se «libérer d'elle». Il l'étrangle à mains nues chez elle, à Sainte-Julie. Elle avait 45 ans.

Les signes avant-coureurs ne manquaient pas, constate-t-on en lisant la décision de la juge Nancy Moreau de la Cour du Québec sur la peine à infliger au jeune meurtrier.

Voici l'histoire de ce crime, que la juge a qualifié d'«odieux», d'«inconcevable» et d'«inexplicable», telle qu'on peut la reconstituer d'après le jugement rendu mercredi au palais de justice de Longueuil.

En 2008, alors que Jérémie a 13 ans, sa mère se présente avec lui au CLSC. C'est son second appel à l'aide. Son fils consomme de la drogue. Il est violent. Il fait de l'automutilation. Des rencontres mère-enfant encadrées par le CLSC ont lieu pendant cinq mois. Second échec.

Peu de temps après la dernière rencontre, un conflit éclate entre la mère et le fils. Ils en viennent aux coups. La mère tombe dans la baignoire, se disloque l'épaule et se fait plusieurs ecchymoses.

La Direction de la protection de la jeunesse s'en mêle. L'adolescent va vivre chez ses grands-parents la semaine et chez son père la fin de semaine. Sa relation avec son père n'est pas au beau fixe. La naissance de Jérémie après 13 ans de vie commune a causé la rupture du couple. Le père ne se sentait pas prêt à avoir des enfants. Il a repris contact avec son fils lorsque ce dernier a eu 6 ans. Il a une autre femme avec qui il a eu un enfant. La mère de Jérémie, elle, n'a jamais refait sa vie.

Jérémie ne vivra pas longtemps chez son père. En 2009, il suivra sa première cure de désintoxication. Autre échec. Il est volontaire pour suivre une seconde thérapie. Sa mère a alors très peur de lui. Elle refuse qu'il lui rende visite.

Après cette thérapie, l'adolescent semble avoir changé. La DPJ l'autorise à rendre visite à sa mère, qui accepte.

Fantasmes meurtriers

Le 27 juin dernier, Jérémie, en visite chez sa mère, lui demande de le reconduire chez sa copine, à Varennes. Elle refuse. La situation s'envenime. L'adolescent est impoli et impatient. Chacun va s'enfermer dans sa chambre. Jérémie se met à fantasmer sur l'idée de la tuer.

Ce n'est pas la première fois qu'il y réfléchit, confiera-t-il à une déléguée à la jeunesse après son crime. «Ça fait 15 ans que je me fais contrôler comme un petit chien, d'la marde. Je vais avoir le contrôle de ma vie», pense-t-il.

Il défonce la porte de la chambre de sa mère. Assise sur son lit, elle se tient la tête et crie. Jérémie lui serre le cou durant plusieurs minutes pour «être sûr» de la tuer.

Il a tout fait pour s'assurer qu'elle était morte: il a pris son pouls, l'a frappée à la tête pour voir si elle aurait une réaction, a cogné sur son genou pour vérifier ses réflexes, est allé chercher une lampe de poche pour vérifier si ses pupilles réagiraient à la lumière et a placé un miroir sous son nez pour voir si son souffle y ferait la buée.

La suite donne froid dans le dos. Le garçon se lave les mains, met des gants et tente de déplacer le cadavre. Il trouve cela trop dégoûtant. Il recouvre plutôt le corps de draps. Il prend soin de fermer la porte et les fenêtres de la chambre pour bloquer les odeurs. Après avoir pris une douche, il invite un ami à venir consommer de la drogue chez lui. Ils «buzzent» ensemble dans le sous-sol pour ensuite rejoindre la copine de Jérémie, à vélo, à Varennes.

L'ami et la copine trouvent Jérémie bizarre. La jeune fille décide même de mettre un terme à leur relation ce soir-là. Cette rupture provoque chez lui des vomissements. «Il ne pense plus à sa mère et dort comme prévu chez son ami», lit-on dans le jugement. Le lendemain, il donne rendez-vous à son ex-copine et à son ami et se confie à eux. Après s'être vidé le coeur, il compose le 911.

«Mon nom est Jérémie. Je suis à Varennes, au coin des rues Beaucourt et René-Gauthier. Présentement, je suis avec deux amis. Je n'ai pas couché chez nous hier soir, au XX* à Sainte-Julie. Dans la chambre à ma mère, il y a son cadavre. C'est moi qui l'ai tuée. Venez me chercher.»

L'adolescent représente un «risque de dangerosité», concluent les experts. Il n'éprouve aucun remords. «Je suis enfin libre et j'attends juste la fin de ma peine pour faire ce que je veux», a-t-il dit à un expert de l'Institut Philippe-Pinel. Il est centré sur ses besoins, insensible aux autres, capable de méchanceté envers autrui, contrôlant et très manipulateur.

Doué à l'école, Jérémie est intelligent, selon la psychiatre. Il souffrirait de «troubles de conduite» et de «troubles de personnalité limite avec traits d'une personnalité antisociale et narcissique».

Son père a assisté à tout le processus judiciaire. Il est prêt à participer à des thérapies avec son fils si ça peut l'aider. Même s'il savait que Jérémie était violent, il n'arrive toujours pas à concevoir qu'il est un meurtrier.

La grand-mère maternelle de Jérémie est très troublée. Elle a passé du temps avec son petit-fils et sa fille deux jours avant le meurtre et tout allait bien. Elle en veut à Jérémie mais, en même temps, c'est aussi lui qui la relie à sa fille. «Je suis certaine qu'il réalisait ce qu'il faisait», a-t-elle dit.

La peine maximale prévue pour un meurtre non prémédité commis par un adolescent est de sept ans de mise sous garde et de surveillance. C'est ce à quoi la juge Moreau a condamné Jérémie. Il sera détenu à l'Institut Philippe-Pinel, où il suivra une thérapie médicale spécialisée et intensive. Après quatre ans, il pourra retourner vivre en société s'il respecte les conditions imposées par la cour.

La Couronne aurait aussi pu réclamer une peine pour adulte. La procureure Christel D'Auteuil-Jobin a choisi de ne pas le faire. «Un adolescent qui n'a pas d'antécédents judiciaires qui s'en prend à sa mère de manière non préméditée, cela peut s'apparenter à un geste de détresse», a-t-elle expliqué à La Presse.

Après avoir lu sa décision, mercredi dernier, la juge Moreau a regardé Jérémie droit dans les yeux et lui a souhaité bonne chance. Impassible, l'adolescent a murmuré un merci à peine audible.

*Nom fictif. La loi nous interdit de publier le nom de l'adolescent et tout renseignement permettant de le reconnaître, y compris son adresse.