Aux prises avec une épidémie de vols de camions depuis quelques mois, des entreprises de l'ouest de Montréal sont en colère contre l'inaction de la police. De nombreuses enquêtes sont abandonnées ou n'aboutissent pas, faute de budget et de ressources, selon ce que plusieurs sources ont confirmé à La Presse.

Excédées, les compagnies d'assurances ont recouru aux services d'enquêteurs privés qui, dans certains cas, ont réussi à retracer une partie des marchandises et identifier des suspects. Les résultats de ces enquêtes privées n'ont pas ébranlé le Service de police de la Ville de Montréal, qui n'y a pas donné suite dans la plupart des cas, selon des témoins.

«Les entrepreneurs sont frustrés, ils se sont fait voler à répétition, c'est vraiment le festival, raconte une source au fait du dossier. Les enquêteurs (privés) ont ramené des suspects, des gens qui étaient impliqués et, faute de ressources, faute d'intérêt de la police, ils n'ont rien pu faire.»

Les policiers, explique-t-il, traitent essentiellement ces dossiers «à la pièce», alors qu'il s'agit de toute évidence d'un phénomène plus large lié à des réseaux criminels bien organisés. Cette situation est flagrante «depuis deux ou trois ans», estime cet expert. Le blocage, assure une autre source, proviendrait essentiellement des consignes en haut lieu, non des policiers à la base.

«Les policiers nous ont carrément dit: «Nous n'avons pas de budget, nous sommes débordés», explique un entrepreneur de LaSalle qui s'est fait voler une cargaison d'huile récemment et qui a tenu à garder l'anonymat. C'est terrible qu'on en soit rendu là.»

Cet entrepreneur précise toutefois que, «contrairement aux autres compagnies», il a fini par convaincre les policiers de s'occuper de son dossier. «Au départ, ils ne voulaient rien savoir, mais je suis retourné les voir, nous avons été agressifs. C'est pourtant leur travail, mais ils n'ont pas de budget.»

Aucun policier après six mois

Richard Tellechea, propriétaire de la firme de transport Demark, a été victime de trois vols importants depuis mars dernier. Chaque fois, des cargaisons d'aluminium valant quelque 50 000$ provenant de Sherbrooke ont été détournées par des fraudeurs qui se sont évanouis dans la nature. Il a été le seul entrepreneur joint par La Presse qui a accepté de voir son nom dévoilé.

«Après six mois, aucun policier ne s'est présenté ici, et on ne nous a donné aucune explication, affirme-t-il. On avait pourtant des bandes vidéo, on voyait le véhicule des voleurs. On a l'impression que ce n'est pas leur domaine, mais ils sont ben bons pour donner des tickets dans la rue, par exemple.»

Les seuls enquêteurs que M. Tellechea a vus sont ceux de sa compagnie d'assurances, INTACT, une filiale d'ING. Même s'il est assuré, chaque vol lui coûte, selon la cargaison, entre 5000$ et 50 000$ en franchise. «Chaque événement fait mal, et nos primes augmentent.»

Depuis quatre mois, selon des statistiques officieuses fournies à La Presse, plus de 150 semi-remorques ont été volés ou détournés, et leur cargaison saisie, à Montréal. La valeur des marchandises volées friserait les dix millions. Tout y passe: du poulet aux raisins en passant par les métaux, les steaks, les cigarettes et les appareils électroniques. «On arrive maintenant dans la période d'importation des marchandises pour Noël, et on repart: les vols de conteneurs vont recommencer», précise un expert.

Au Bureau d'assurance du Canada, on précise qu'on ne dispose pas de compilation permettant d'évaluer ce phénomène. Le SPVM n'a pu confirmer les statistiques fournies à La Presse sur l'épidémie des derniers mois. En pleine transition à la haute direction - le nouveau directeur Marc Parent prend officiellement les rênes lundi - , le service de police n'a pas été en mesure de formuler de commentaires hier. Impossible, également, de savoir quelle part de ces vols n'ont fait l'objet d'aucune enquête ou ont été classés après un premier rapport.

Tous les entrepreneurs en transport routier joints par La Presse ont assuré que «la plupart» des dossiers de vol de marchandise tombaient à l'eau, à moins qu'il n'y ait crime contre la personne. «Ils ont démantelé les unités, ils ont changé les priorités, les ressources sont limitées», résume un témoin.

Informée de cette situation, la Fraternité des policiers et des policières de Montréal y voit la conséquence directe des compressions budgétaires demandées au SPVM depuis deux ans.

«Franchement, on se demande ce que ça va prendre pour que le maire comprenne que le SPVM est sous-financé et que la sécurité des Montréalais en souffre, dit Yves Francoeur, président. Les policiers ont choisi leur job par vocation, pas pour être obligés de répondre qu'ils n'ont pas les budgets pour arrêter ceux qui doivent l'être.»