Deux jours après avoir survécu à un accident qui a fauché la vie à trois compagnes d'entraînement, France Carignan, Jean Dessureault et Karine Desormeaux sont retournés sur les lieux du drame. Sur l'accotement de la route 112, à l'endroit précis où les trois cyclistes ont perdu la vie le 15 mai dernier, ils ont conclu un pacte: poursuivre le rêve qui les avait menés là.

Il y a deux semaines, les trois survivants ont parcouru les 3,8km de natation, 180km de vélo et 42km de course à pied qui les séparaient de ce rêve. Après des années d'entraînement, ils sont finalement devenus Ironman et Ironwomen à Lake Placid, aux États-Unis.

Ils s'entraînaient pour ce triathlon lorsque leur peloton a été renversé «comme un jeu de quilles» par une camionnette à Rougemont et que les vies de Lyn Duhamel, 39 ans, Christine Deschamps, 44 ans, et Sandra De La Garza, 36 ans, se sont soudainement arrêtées.

Le parcours qui les a menés de ce tronçon de la route 112 à Lake Placid a été éprouvant.

«La première fois que je suis retourné courir, la douleur était tellement forte que je me suis arrêté trois fois sur 1 km. Je me suis dit que je n'y arriverais jamais», raconte Jean Dessureault, cardiologue à l'hôpital de Saint-Jean-sur-Richelieu.

«C'est la colère qui m'a fait avancer. Christine et moi, nous avions commencé environ au même moment et nous progressions au même rythme. Nous avions prévu de faire notre premier Ironman ensemble à Lake Placid. Et là, il y a un gars qui a failli gâcher le rêve que je caressais depuis un bon moment. La douleur était épouvantable, mais je me suis dit: "Non, il ne gâchera pas nos deux rêves."»

Le 25 juillet dernier, Jean Dessureault a réussi son premier Ironman en 11h51. France Carignan, qui roulait côte à côte avec sa conjointe Christine lorsqu'elles ont été heurtées, l'a rejoint après 13h12.

«Quatre kilomètres avant la fin de la course, j'ai mis un chandail sur lequel était imprimée la photo de Christine. Je voulais qu'on traverse le fil d'arrivée ensemble», a raconté Mme Carignan. «Après l'avoir enfilé, j'ai commencé à avoir du mal à respirer. Je pensais au fait qu'elle aurait aimé être là. C'est là que je me suis dit que je devais profiter des derniers moments avec le sourire parce que Christine avait toujours le sourire aux lèvres.»

En terminant sa course, France Carignan a été envahie d'un grand bonheur. «C'était magique! Complètement fou. C'est difficile de mettre des mots là-dessus. Je me suis dit: "Je l'ai fait, je l'ai fini et je l'ai fait avec honneur."»

L'entraînement a représenté une bouée de sauvetage pour l'avocate. «Le pacte m'a permis de survivre. Jour après jour, je savais ce que je devais faire. À cause de la fatigue de l'entraînement, la douleur psychologique était moins vive.»

Karine Desormeaux, qui a terminé l'épreuve au bout de 16h03, compare les derniers mois à une traversée du désert. «Pour moi, le choc post-traumatique s'est beaucoup transféré sur le vélo, j'ai encore peur lorsque je l'enfourche, dit-elle. Il n'y a pas une journée où l'accident n'est pas là, à l'intérieur de moi.»

«Mais souvent, poursuit la technicienne en travail social de 31 ans, ce sont de belles images, car je repense à la beauté de ces filles-là, au fun qu'on avait tous ensemble.»

Quand la douleur se transforme en engagement

Impressionnés par le courage du trio québécois, les organisateurs de l'Ironman de Lake Placid lui ont décerné le prix «Everyday Heroes» (héros au quotidien) lors d'une soirée en leur honneur, quelques jours avant la compétition. Le conjoint de Lyn Duhamel, Marc Flageole, a assisté à la cérémonie, les yeux pleins d'eau, avant de faire lui-même le triathlon.

Les trois athlètes ont fait la course avec le même numéro de dossard, le 60 a, b et c. Lors de la compétition, ils ont été suivis par des équipes de télévision, qui ont filmé et retransmis les moments forts de leur course.

L'organisme leur a également versé chacun une bourse de 1000$. Ils comptent l'investir dans une fondation qui sera créée à la mémoire de Sandra, Lyn et Christine. Cette fondation financera des initiatives pour sensibiliser les Québécois au partage de la route. France Carignan aimerait également que la fondation devienne une voix dans le débat public sur la sécurité routière.

Depuis 2004, de 15 à 20 cyclistes sont morts chaque année dans un accident de la route.

Les athlètes du club de triathlon de Saint-Lambert, dont les trois cyclistes sont membres, se sont également joints au mouvement Share the Road, créé par une Ontarienne qui a perdu son mari dans des circonstances similaires en 2006. Le groupe a commencé à vendre des vignettes autocollantes «Partageons la route» que les automobilistes peuvent apposer sur leur voiture.

Depuis le mois de mai, des membres de l'équipe se sont rendus dans les conseils municipaux de la Rive-Sud pour plaider en faveur de l'asphaltage des accotements au Québec. Le tronçon de la route 112 où est survenu l'accident était en gravier, un revêtement peu praticable pour les bicyclettes de course, qui sont très légères.

Après le drame, cette cause est devenue un nouveau marathon pour les trois sportifs.

«Ça m'aide, a expliqué France Carignan. J'ai besoin de quelque chose à quoi me raccrocher. Il y avait l'Ironman, mais maintenant je m'accroche à quoi? Plus ça va, plus il y a de cyclistes sur les routes. Avec le temps, les mentalités vont évoluer, mais le temps presse. Encore la semaine dernière, il y a eu un autre mort. Il ne faut pas que ça tombe dans l'oubli.»