Que serait-il arrivé si les jurés au procès de Robert Pickton, condamné en 2007 pour le meurtre non prémédité de six femmes, avaient entendu le témoignage d'une travailleuse du sexe qui dit que le tueur en série a essayé de l'assassiner en 1997, cinq ans avant qu'il soit accusé de meurtre?

Non seulement auraient-ils probablement rendu un verdict différent, mais il y a tout lieu de croire que plusieurs meurtres auraient pu être évités.

Cette femme - que l'on ne peut nommer - affirme s'être rendue en voiture à la ferme de Pickton pour avoir des relations sexuelles avec lui. Il lui a attaché un poignet avec des menottes, puis l'a poignardée à plusieurs reprises. Elle l'a frappé à coups de couteau au cou et s'est échappée, même si elle avait perdu trois litres de sang. Un couple a transporté la femme, qui saignait abondamment, à l'hôpital Royal Columbian, toujours nue, menottée et tenant le couteau dans ses mains. À son arrivée au centre hospitalier, son pouls était presque imperceptible.

Pickton s'est présenté au même hôpital et a été admis dans une salle d'opération non loin de celle de la femme. Durant l'intervention, on a trouvé dans sa poche de pantalon une clé qui a servi à déverrouiller les menottes de la victime.

Pickton a été accusé de voies de fait dans cette affaire, mais ces accusations sont tombées quand la Couronne a décidé que le témoignage de la femme était inadmissible en raison de son instabilité, de ses hallucinations, de ses comportements paranoïaques et de sa toxicomanie.

Or, en prison, Pickton avait confié à un compagnon de cellule, qui était en fait un policier en civil, que ce soir-là, la femme voulait les 3400$ qu'il avait avec lui. Il a ajouté qu'elle l'aurait coupé au thorax, lui aurait tranché la gorge et tailladé le dessus de la langue. Durant le contre-interrogatoire, l'avocat de Pickton, Peter Ritchie, a demandé à la femme si elle avait tenté de couper la veine jugulaire de Pickton. «Je n'ai pas essayé, j'ai réussi», a-t-elle répondu, impassible.

Cette attaque s'est produite il y a 13 ans, avant la disparition des six femmes assassinées par Pickton.

Mais il y a plus. Durant son séjour à l'hôpital, les vêtements de Pickton ont été saisis et placés dans un casier jusqu'à son arrestation, en 2002, sans que personne les analyse. En 2004, la GRC a effectué des tests sur les vêtements et y a découvert l'ADN de deux femmes disparues en 1997, avant l'attaque au couteau.

D'autres analyses ont révélé que l'ADN de Brenda Wolfe, une des femmes assassinées par Pickton, avait été découvert sur une autre paire de menottes, ce qui indique que Pickton avait l'habitude de se servir de cet outil. Le juge James Williams n'a pas souhaité établir de lien entre les deux éléments, même si «cela allait à l'encontre du bon sens».

Ces éléments d'enquête potentiellement explosifs n'ont jamais été portés à la connaissance du jury, qui a en fin de compte reconnu Pickton coupable de meurtre non prémédité plutôt que du crime plus grave de meurtre prémédité.

En 2007, le juge du procès avait décidé que ces preuves seraient dévoilées dans un procès séparé. Or, on le sait maintenant, ce procès n'aura pas lieu puisque la Couronne de la Colombie-Britannique a annoncé qu'elle demandera la suspension des 20 accusations qui pèsent toujours contre Pickton. L'homme voulait un nouveau procès en raison des directives qu'avait adressées le juge au jury lors de son premier procès. Mais le plus haut tribunal du pays a conclu à l'unanimité que ses droits n'avaient pas été niés.

L'interdit de publication de presque tous les indices non dévoilés est donc levé en raison de cette décision.

Pickton, un éleveur de porcs de Port Coquitlam, en Colombie-Britannique, a été reconnu coupable en décembre 2007 du meurtre non prémédité de Mona Wilson, Sereena Abotsway, Brenda Wolfe, Marnie Frey, Andrea Joesbury et Georgina Papin, toutes de la région de Vancouver. Il faisait face à des accusations pour le meurtre de 20 autres femmes.

Avec The Toronto Star, La Presse Canadienne, The Globe and Mail et le Vancouver Sun