Accusé d'abus de confiance et d'entrave, un policier de la Sûreté du Québec est soupçonné d'avoir fait disparaître une contravention pour «excès de vitesse» reçue par le caïd montréalais Francesco Arcadi. Le policier aurait fait cela à la demande de son oncle, proche de la mafia italienne.

L'agent Serge Junior Parent, 43 ans, était de retour en cour hier, au palais de justice de Montréal, pour son enquête préliminaire. L'affaire remonte à l'été 2003. Ce sont des enquêteurs de la Gendarmerie royale du Canada qui ont eu la puce à l'oreille en interceptant des conversations téléphoniques entre Arcadi et l'oncle du policier, Giuseppe «Pépé» Lazzara, dans le cadre de l'opération Colisée.

Or, l'arrestation de l'agent Parent a eu lieu seulement en 2007 pour ne pas nuire à cette gigantesque opération policière qui a déstabilisé la mafia montréalaise.

La Couronne a fait entendre, hier, quatre conversations téléphoniques entre les deux hommes d'origine italienne dans lesquelles Arcadi demande à Lazzara - aujourd'hui décédé - s'il peut l'aider à ne pas payer ladite contravention. Lors du premier appel, Arcadi joint d'ailleurs «Pépé» au café Consenza, quartier général de la mafia montréalaise. Dans l'une des conversations, Arcadi demande à un autre caïd, Lorenzo Giordano, de lire à «Pépé» des informations contenues sur la contravention puisqu'il a lui-même de la difficulté à comprendre le français. On entend distinctement le numéro de la plaque d'immatriculation d'Arcadi ainsi que le nom de famille du policier qui a rédigé la contravention : Gaucher.

Le soir du 17 juillet 2003, Lazzara a ensuite appelé chez son neveu, à Lorraine, à deux reprises. Lazzara n'était pas sur écoute, contrairement à Arcadi. La Couronne n'a donc pas de preuve du contenu des conversations entre l'oncle et son neveu. L'accusé l'a rappelé de son bureau de la SQ vers 21 h. Le lendemain, peu avant 19h, Lazzara a appelé Arcadi pour lui annoncer qu'il pouvait détruire sa contravention. Le travail avait été fait. Arcadi a alors insisté pour qu'il remercie son «contact».

Hier, l'agent Patrick Gaucher, de la SQ, est venu raconter qu'il avait bel et bien donné une contravention au propriétaire d'une Acura nommé Francesco Arcadi alors que ce dernier circulait au-dessus de la limite permise sur l'autoroute 40 à la hauteur de Morgan, le 17 juillet 2003. C'était une «intervention banale», selon le policier. Ce jour-là, à la fin de son quart de travail, le policier est rentré au poste autoroutier situé à Saint-Laurent. Et comme à l'habitude, il a remis les contraventions produites ce jour-là dans le pigeonnier du bureau de l'agent de service. Ce dernier est responsable, dans les jours suivants, d'»enregistrer» les contraventions dans le système informatique. Or, la contravention d'Arcadi n'a jamais été informatisée, contrairement aux deux autres remises ce jour-là.

Serge Junior Parent aurait volé la contravention au poste autoroutier de Montréal avant qu'elle ne soit informatisée, selon la thèse de la poursuite. Parent travaillait alors au service de la surveillance physique (filature) de la SQ. Ce soir-là, le policier a travaillé jusqu'à 23h.

Le superviseur des patrouilleurs à l'époque, Yvon Gendron, a raconté hier qu'il n'y avait pas de caméra de surveillance dans ce poste de police. Et que le code de sécurité pour y entrer avait été changé seulement une fois en huit ans à sa connaissance, après qu'un remorqueur fut entré avec ledit code. Durant la nuit, il arrive que le poste soit vide lorsque tous les agents sont sur la route, a expliqué le superviseur.

De son côté, la défense, que représente Me Alain Dubois, a fait dire à l'agent Gendron en contre-interrogatoire qu'au moins une trentaine de policiers, des secrétaires et des concierges travaillaient dans ce poste chaque jour, laissant planer le doute sur l'identité de celui qui a fait disparaître la contravention. Me Dubois présentera également une requête pour faire exclure de la preuve les conversations téléphoniques entre Arcadi et «Pépé». Me Dubois allègue qu'elles sont inadmissibles en preuve puisque cela constitue des «ouï-dire».

Arrêté à la fin de 2006 lors de la fameuse opération Colisée, le caïd Francesco Arcadi, successeur désigné du clan sicilien pour remplacer Vito Rizzuto, a écopé de 15 ans de pénitencier à l'automne 2008.