C'est pour se payer une maison de luxe en Haïti une fois à la retraite, que l'agent des Services correctionnels Pierre-Arold Agnant apportait des colis de drogues à la prison de Bordeaux. Pour les années à venir, la Couronne veut l'envoyer en retraite obligatoire, dans un endroit beaucoup moins ensoleillé.

Onze ans à l'ombre d'un pénitencier, c'est ce que la procureure de la Couronne Chantal Michaud a demandé, hier, comme peine pour le gardien de prison corrompu, qui a bien sûr perdu son emploi. Celui-ci avait accepté d'agir comme passeur de drogues pour un gang, entre décembre 2006 et juin 2007. Selon la preuve, il a participé à 19 entrées de drogues (cannabis, résine, cocaïne base), en l'espace de six mois. Il aurait reçu entre 40 000 $ et 70 000 $ pour sa peine. Arrêtés et accusé dans le cadre d'une vaste opération policière appelée Chorale, les huit autres accusés, dont le chef, Gustave Jean, ont plaidé coupables. Seul Agnant a contesté les accusations. Il a subi un long procès l'automne dernier, au terme duquel, en décembre, un jury l'a déclaré coupable de complot, trafic, gangstérisme, et corruption. Détenu depuis le prononcé du verdict, Agnant n'a pas encore reçu sa peine, parce que la fin de son procès a été marquée par toutes sortes de péripéties.

Pour commencer, le jour où devaient se tenir les représentations sur la peine, en décembre, son avocat, Max Stanley Bazin, apprenait qu'il était radié provisoirement du Barreau. Me Clemente Monterosso a repris le dossier. Mais voilà, en février dernier, alors qu'on devait de nouveau faire les représentations sur la peine, la Couronne arrivait avec des révélations étonnantes : Dominique Baptiste, qui a traduit l'écoute électronique de ce dossier (du créole au français), avait confié avoir «menti» en Cour au sujet des traductions, et avoir subi de la pression de la police pour «garder ça» entre eux. Ces révélations ont incité Me Monterorrosso à demander un arrêt des procédures, requête qui a été entendue hier, avant les plaidoiries sur la peine.

Propos mitigés

Appelée à la barre, Mme Baptiste a grandement mitigé les propos qu'elle avait tenus. Celle qui gagne sa vie avec les mots, a mal choisi son mot en disant qu'elle avait «menti», a-t-elle assuré. C'était plutôt un sentiment qu'elle éprouvait, a-t-elle dit, car il y avait des nuances dans les traductions. Et elle a juré ne jamais avoir eu de pression d'un policier. Le procureur de la Couronne Richard Audet a résumé la position de Mme Baptiste en disant qu'elle avait eu des «scrupules mal placés.»

La juge France Charbonneau rendra sa décision plus tard au sujet de cette requête. Et comme les parties n'ont pas eu le temps de terminer leurs plaidoiries sur la peine, celles-ci se poursuivront le 20 avril.