Mourir en prison. C'est la plus grande peur des détenus. Les malades chroniques sont transférés dans un petit hôpital situé au coeur du pénitencier d'Archambault. Les autres s'enferment dans leur cellule, se bourrent de pilules et apprennent à vivre avec leurs souffrances en attendant d'être libérés ou transférés à Archambault. Histoires de vies à bout de souffle.

M. Tremblay a quitté son centre d'accueil pour aller en prison. Il a 85 ans; «86 ans en février», précise-t-il avec défi.

Il est allongé sur son lit dans une cellule microscopique. Une infirmière l'aide à s'asseoir. Sa tuque tombe, il la remet sur sa tête d'un geste hésitant. «J'ai froid», grogne-t-il.

 

La braguette de son jean est grande ouverte. Il s'en aperçoit. «Je suis amanché la porte ouverte», dit-il en souriant.

Ses souvenirs s'emmêlent, le passé et l'avenir se confondent dans sa mémoire défaillante. Il croit qu'il sortira de prison dans deux ans. Pourtant, il sera libéré en mai.

Il ne veut pas parler de son arrestation ni de sa comparution devant le juge.

«Pourquoi êtes-vous en prison?

- Je ne peux pas vous le dire, ça reste en moi. Je ne suis pas un tueur, mais j'ai fait quelque chose de pas correct.»

Plus tard, il ajoutera: «Ma fille s'est préparée pour m'envoyer en prison.

- Agression sexuelle?»

Il baisse les yeux. «Je le sais pas. Je me souviens plus du nom de mon avocat.»

Il avait 84 ans quand la police l'a arrêté. Il n'avait jamais mis les pieds dans une prison. «J'ai fait une belle vie», s'empresse-t-il d'ajouter.

Marié pendant 60 ans, père de quatre enfants, un bon boulot - journalier dans une grande entreprise. Rien ne l'avait préparé à vivre derrière les barreaux, allongé sur un lit dans une cellule trop étroite.

M. Tremblay a besoin d'un préposé qui l'aide à accomplir les mille et un gestes du quotidien. Il a donc été placé à l'hôpital régional d'Archambault, à Sainte-Anne-des-Plaines. Un minuscule hôpital d'une dizaine de lits situé entre les murs de la prison d'Archambault.

L'hôpital dessert les 12 pénitenciers fédéraux de la province et emploie 28 personnes à temps plein, surtout des infirmières et des préposés aux bénéficiaires. Il accueille les cas lourds: des hommes en perte d'autonomie, comme M. Tremblay, des mourants, des convalescents.

Avec le vieillissement de la population, de plus en plus de vieux accaparent les lits. «Mes patients vieillissent», confirme le Dr Pierre Leduc. Il travaille à l'hôpital d'Archambault depuis huit ans.

«Ce sont des patients très exigeants, dit-il. La plupart ont des problèmes de toxicomanie ou souffrent de diabète, d'insuffisance cardiaque ou pulmonaire. Certains ont le cancer, d'autres le sida ou l'hépatite C.»

L'hôpital est bien équipé. Il comprend une salle de physiothérapie, une pharmacie, des locaux pour le dentiste et l'optométriste et des chambres dont les portes se verrouillent. Des chambres-cellules.

Dans l'une d'elles, un homme de 39 ans gît sur son lit. Il n'a plus aucun contact avec la réalité. Il vit là depuis des années. Dans la cellule voisine, un détenu se balance dans un fauteuil d'avant en arrière, dans un geste répété mille fois par jour. Deux cellules équipées de caméras sont réservées aux détenus agités.

La cellule qui reçoit les mourants est un peu plus grande que les autres. La direction a mis des rideaux aux fenêtres et a peint les murs orange. La porte reste verrouillée. En tout temps.

M. Tremblay occupe une des 10 cellules. Assis sur son lit, le dos appuyé contre le mur froid d'un bleu délavé, il raconte des bribes de sa vie. De vieux souvenirs qui remontent à la surface avec une netteté étonnante.

«J'avais 8 ans quand j'ai perdu ma mère. Elle est morte en donnant naissance à son neuvième enfant. Mon père s'est remarié, il ne voulait pas de nous. Il m'a envoyé à la campagne.»

«Mon frère est mort, ajoute-t-il. L'année dernière, je pense. Je regarde le ciel et je demande: «C'est quand mon tour?» Vieillir, c'est mourir. La prison, c'est comme la mort.»

M. Tremblay est parti de son centre d'accueil pour aller en prison. En mai, il retournera dans son centre, mais il ne s'en souvient peut-être plus.

Il lui reste une certitude: «À ma mort, dit-il, j'irai en enfer.»