'À la prison fédérale de la Montée-Saint-François, à Laval, la moitié des détenus ont plus de 50 ans. C'est énorme. C'est la prison au Québec qui regroupe le plus de vieux.

Plus de la moitié (107) des 203 détenus ont plus de 50 ans, et seulement huit ont entre 20 et 30 ans. Au Canada, 22 % des prisonniers ont plus de 50 ans.

«On n'a pas de jeunes punks ici, explique le directeur de l'établissement, Denis Lévesque. Notre clientèle est assez tranquille. Il y a 20 ans, on leur apprenait un métier et on parlait de réinsertion. Aujourd'hui, ils sont à la retraite.»

Le pénitencier tente de s'ajuster à cette nouvelle réalité. Plusieurs détenus ne peuvent pas travailler à cause de leur santé chancelante. Ils s'enferment dans leur cellule. L'année dernière, la direction a créé un club de l'âge d'or pour essayer de les sortir de leur isolement.

La Montée-Saint-François reçoit beaucoup de délinquants sexuels. Dans la foulée du scandale Nathalie Simard, le nombre de dénonciations a grimpé en flèche. Résultat: la moitié des détenus de 50 ans et plus purgent une peine pour agression sexuelle. Ils ont été dénoncés par leurs enfants devenus adultes. Ces hommes, qui n'ont jamais connu la prison, sont démunis et souvent malades.

«Ils sont découragés, ils ne connaissent rien à la vie en prison, explique le responsable du comité des détenus, Jean Ducharme. Ils ont 60 ou 70 ans. Ils s'enferment dans leur cellule et se laissent mourir. Quand ils marchent dans les couloirs, ils rasent les murs.»

«Les jeunes de 30 ou 40 ans ont une vie à l'extérieur et ils veulent sortir, poursuit-il. Les vieux ne parlent pas d'avenir, ils ont seulement hâte que la journée finisse. Ici, 21 détenus ont plus de 70 ans. Quand on leur demande: «Qu'est-ce que tu vas faire quand tu vas sortir?» Ils répondent: «Rien.»

La Montée-Saint-François n'est pas une exception. La population vieillit, celle des prisons aussi. De plus, le Code criminel et la Loi sur les libérations conditionnelles ont allongé les peines, explique Anne-Laure Tesseron, qui a rédigé un mémoire de maîtrise sur le vieillissement de la population dans les pénitenciers du Canada*.

En 1975, précise-t-elle, 58% des personnes admises dans une prison fédérale au Québec avaient moins de 25 ans. Elles n'étaient plus que 18% en 1999-2000. À l'inverse, les 35 ans et plus sont passés de 13% à 47%.

Et le phénomène ira en s'accentuant. «On se dirige vers des prisons-hospices», croit-elle.

Les détenus sont souvent malades: diabète, cancer, problèmes cardiaques, pulmonaires ou rénaux. Ils vieillissent plus vite que la population normale. Ils ont souvent connu une enfance difficile et des problèmes de toxicomanie. À 50 ans, un prisonnier est déjà considéré comme vieux.

Et les vieux coûtent cher. Selon Mme Tesseron, «le coût annuel d'incarcération est de 69 000 $ US pour un détenu âgé contre 23 000 $ US pour un plus jeune».

Cette disproportion dans les coûts soulève des problèmes éthiques, souligne-t-elle. «Les prisons se débattent avec un manque criant de ressources. Doit-on créer une unité spéciale pour les prisonniers âgés? Quelques pays le font, comme l'Allemagne et les États-Unis. Sauf que la création de tels centres, où les détenus recevraient des soins sans devoir attendre dans des urgences bondées, pourrait soulever la controverse.»

Certains pays, comme l'Italie, le Danemark et l'Allemagne, ont opté pour une autre solution: libérer des détenus pour des raisons humanitaires et les envoyer dans des institutions publiques, ajoute-t-elle.

Est-ce possible au Québec? Oui, répond Jonathan Ouellet, chef santé à la Montée-Saint-François, mais les cas sont rares. C'est la Commission des libérations conditionnelles qui prend la décision selon des critères stricts: le détenu ne doit plus représenter de risque, il doit être mourant et un médecin doit confirmer le diagnostic.

Une chose est certaine, croit Mme Tesseron: les prisons devront d'adapter, installer des rampes d'accès, acheter des fauteuils roulants, offrir des soins spécialisés et composer des menus spéciaux. Car la population vieillit et continuera de vieillir.

*Anne-Laure Tesseron, Le vieillissement de la population carcérale sous responsabilité fédérale du Canada, Université de Montréal, 2008.Lundi: Sortir de prison à 60 ans

Mardi: Mourir en prison