Ancien chef du défunt gang de rue des 67, Joseph Ducarme est un joueur clé dans le tumulte qui secoue le milieu interlope depuis un an. L'attentat-surprise qui s'est déroulé à son commerce de la rue Saint-Jacques, hier, et qui a fait deux morts, pourrait, selon la police, être lié au meurtre de Nicolo Rizzuto, aîné du parrain montréalais, Vito Rizzuto, survenu en décembre dernier dans l'ouest de Montréal.

Installé dans le paysage criminel depuis les années 80, Ducarme, 41 ans, est considéré comme dangereux. Quoique son nom ait fait surface dans maintes enquêtes liées à des crimes avec violence, il a vraiment commencé à faire parler de lui depuis les deux grandes opérations policières - SharQc et Machine - qui ont décimé les rangs des Hells Angels, en 2009. Avec une équipe de fiers-à-bras, dont certains portent parfois des armes, il n'a cessé de s'afficher sur le boulevard Saint-Laurent, rackettant et intimidant les commerçants afin de prendre le contrôle des principaux points de vente de drogue.

 

Ducarme et quatre de ses sbires ont d'ailleurs une cause commune au palais de justice de Montréal pour une affaire de voies de fait survenue à la mi-septembre dans un restaurant du boulevard Saint-Laurent, où ils cherchaient à s'imposer sans retenue. Ducarme a pu recouvrer la liberté après avoir versé une caution de 50 000$. Il doit respecter un couvre-feu de 22h à 7h. L'un des coaccusés, Peter Christopoulos, 27 ans, est mort criblé de balles, hier. De forte stature, il agissait à titre de chauffeur et de garde du corps de Ducarme.

Autre figure connue du gang de Ducarme, et inculpé lui aussi dans le cadre du procès pour voies de fait, Osborn Anthony, 33 ans, a récemment fait l'objet d'une tentative de meurtre dans un restaurant de la rue Saint-Jacques. Grièvement blessé par balle, il serait aujourd'hui réduit à se déplacer à en fauteuil roulant. Ce n'est là qu'un des nombreux incidents de violence qui ont marqué le parcours de Ducarme et de son entourage depuis les 15 dernières années.

Fraude et extorsion

Ducarme était notamment présent au bar-resto Le Moomba, à Laval, la nuit où l'un de ses acolytes du gang de rue des 67, Thierry Beaubrun, a été abattu au cours d'une altercation avec Mike Lapolla, jeune mafieux du clan sicilien des Rizzuto. Lapolla avait également perdu la vie. Il en avait été de même, en 2003, alors qu'on avait tiré sur un autre de ses hommes, Wilkins Richmond, 33 ans, à l'intérieur d'un bar de la rue Crescent. La police connaît les dessous de ces deux dossiers, mais elle n'a jamais arrêté personne.

Avant de sortir de l'ombre, Ducarme et ses sbires faisaient surtout dans la fraude et l'extorsion liée aux prêts usuraires. Encore là, gare à celui qui ne paie pas ses dettes: quantité d'hommes de main veillent au grain. Leur dernier fait d'armes connu remonte au 19 novembre dernier, alors que le cousin de Ducarme, Lamartine Sévère Paul, 39 ans, s'en est pris à un ancien fleuriste du boulevard Monk, dans le quartier Émard. Selon un document judiciaire, ce dernier agissait pour le compte d'un prêteur italien.

Dans la même veine, la police indique que Ducarme agirait à titre de redresseur de torts pour l'entrepreneur en construction Antonio «Tony» Magi, «qui prête de l'argent à une vaste clientèle», indique-t-on dans le même rapport déposé au palais de justice de Montréal. En échange, Magi lui aurait fourni un condo dans un immeuble qu'il a construit dans le Vieux-Montréal. C'est ce qui explique, selon les enquêteurs, que Sévère Paul ait été vu dans les bureaux de l'homme d'affaires, chemin Upper Lachine, pas tellement loin d'où Nicolo Rizzuto a été abattu en pleine rue, en décembre dernier. Magi et Rizzuto brassaient des affaires ensemble.

Selon la police, la fusillade meurtrière d'hier pourrait être la réponse à l'assassinat de Rizzuto et au climat de terreur que Ducarme et ses matamores font régner à Montréal depuis environ un an. Le meurtre de Federico Del Peschio à l'arrière de son restaurant du nord de la ville, en août, avait aussi secoué le clan sicilien des Rizzuto.

Ces coups de force que l'on croit liés aux gangs de rue auraient, dit-on dans le milieu interlope, donné des ailes aux mafiosi calabrais, qui jouent les seconds violons depuis que le clan sicilien leur a ravi le pouvoir par les armes, il y a une trentaine d'années.