«À cause de mon geste, un innocent est mort. J'y pense tout le temps. Je ne peux pas revenir en arrière, mais je ne suis plus la même personne. La frustration n'est plus là.» Envoyé en prison il y a 25 ans pour un acte terroriste meurtrier, le militant arménien Kevork Marachelian est depuis hier un homme libre.

Officiellement, puisqu'il jouit depuis 2008 d'une semi-liberté dans une maison de transition lavalloise.

La Commission nationale des libérations conditionnelles (CNLC) lui a accordé sa liberté totale, au terme d'un long processus de réhabilitation amorcé en 2005 avec des visites surveillées chez des proches. «Vous reconnaissez la gravité de vos délits et vous exprimez de l'empathie pour vos victimes», a notamment dit le commissaire Pierre Cadieux.

 

Même s'il s'attendait à ce verdict - notamment en raison de sa conduite exemplaire en prison -, M. Marachelian est tout de même arrivé en avance hier matin pour son audience au pénitencier de Laval.

Nerveux, élégant avec sa chemise rentrée dans son pantalon, ses cheveux poivre et sel soigneusement coiffés et ses lunettes, il a confié n'avoir pratiquement pas fermé l'oeil de la nuit.

L'assaut du 12 mars 1985

Devant la Commission, il a dû revenir une fois de plus sur les événements du 12 mars 1985, à l'origine de cette peine de prison à perpétuité.

Armés de fusils et de grenades, Kevork Marachelian et deux complices avaient pris d'assaut l'ambassade de Turquie à Ottawa. Ils souhaitaient obliger le Canada à reconnaître le génocide arménien de 1915 et sensibiliser les médias à leur cause.

Les trois hommes avaient fait sauter la porte principale de l'immeuble et mitraillé la guérite où était posté un agent de sécurité. Le gardien, Claude Brunette, 31 ans, était tombé sous leurs balles.

Les trois hommes avaient ensuite pris plusieurs personnes en otages en plus de pourchasser l'ambassadeur jusque dans ses appartements. Ce dernier avait dû sauter du deuxième étage pour leur échapper. Avant d'être arrêtés, les assaillants avaient lancé une grenade dans une salle où s'étaient réfugiées plusieurs personnes. L'engin n'avait heureusement pas explosé.

Sympathies

Hier encore, Kevork Marachelian a soutenu que ses complices et lui n'appartenaient à aucun mouvement terroriste, même s'ils étaient sympathiques à l'ARA, l'Armée révolutionnaire d'Arménie. «On manifestait chaque année pour faire connaître la cause, on était frustrés. Le but n'était pas de tuer quelqu'un. Si on avait su qu'il y avait un gardien armé, on ne l'aurait pas fait», a expliqué M. Marachelian, dont les motivations personnelles remontaient à l'enfance. «J'ai perdu ma mère jeune et j'étais proche de ma grand-mère et de mon grand-père, victimes du génocide.»

M. Marachelian a expliqué qu'il est toujours sympathique à la cause des Arméniens, mais de manière passive. D'ailleurs, comme l'a fait remarquer un commissaire, les enjeux ont bien changé depuis la déclaration d'indépendance de l'Arménie, en 1991, et la reconnaissance du génocide par le Canada en 2006.

L'ex-détenu jouit d'une certaine notoriété dans la communauté arménienne depuis les événements de 1985. Interrogé à ce sujet, M. Marachelian a assuré qu'il ne veut pas faire de politique ni faire figure de martyr. «Ce que j'ai fait à l'époque, je l'ai fait pour moi, ma famille, mon pays. C'est mon histoire», a-t-il expliqué.

Dette payée

Tous les intervenants qui ont côtoyé M. Marachelian au fil des ans ont par ailleurs salué ses bonnes valeurs sociales et qualifié de faible le risque de récidive. Il n'entretient plus aucun lien avec ses deux complices de l'époque, Ohannef Noubourian et Rafi Panos Titizian, qui avaient écopé de peines similaires.

Aujourd'hui, Kevork Marachelian souhaite tirer un trait sur un quart de siècle de vie à l'ombre. «Après 25 ans, vous pensez quoi? Que votre vie est ratée?» lui a demandé un commissaire. «J'ai perdu plus que j'ai gagné», a rétorqué du tac au tac M. Marachelian, dont la femme s'est suicidée il y a plusieurs années.

C'est sous le toit de la maison de l'un de ses frères que M. Marachelian amorcera sa nouvelle vie. Debout dans l'entrée du pénitencier, aux côtés de son avocat, Kevork Marachelian arborait le sourire satisfait de quelqu'un qui estime avoir payé sa dette à la société. «Quand je suis entré en prison, je n'aurais jamais pu imaginer ce jour. J'ai atteint mon but...»