Un rapport spécial déposé mardi révèle qu'il n'existe aucune garantie d'indépendance et d'impartialité lorsque des policiers enquêtent sur le travail de leurs pairs, à la suite d'incidents graves survenus lors d'interventions.

La protectrice du citoyen, Raymonde Saint-Germain, a déclaré qu'un «changement de culture et de pratique» s'impose afin de prévenir que des situations sèment le doute et minent la confiance de la population envers ces enquêtes.

Dans son rapport, Mme Saint-Germain a recommandé au ministère de la Sécurité publique d'établir des règles formelles qui encadreront les enquêtes nécessaires lorsque des interventions policières se soldent par un décès ou des blessures graves.

La protectrice suggère aussi au gouvernement de cesser de confier aux agents la responsabilité d'enquêter sur leurs collègues, ce qui pose problème en raison des liens de proximité ou de solidarité qui peuvent exister au sein des corps policiers.

La procédure en vigueur actuellement prévoit qu'à la suite d'une intervention policière ayant entraîné un décès, une blessure grave laissant craindre pour la vie, ou une blessure résultant de l'utilisation d'une arme à feu, une enquête est confiée à un service policier autre que celui auxquels les agents sont rattachés.

Lors d'une conférence de presse, qui a suivi le dépôt de son rapport, Mme Saint-Germain a expliqué qu'elle recommande la création d'un bureau d'enquêtes spéciales, dont les dossiers seraient confiés majoritairement à des civils, au terme d'une période de transition.

«Les procédures d'enquêtes sur les policiers, par des policiers, n'ont pas l'encadrement, la rigueur et le déroulement qui normalement devraient être attendus, a-t-elle dit. Ca ne veut pas dire que ces pratiques sont nécessairement mauvaises ou partiales. Mais il est clair qu'il n'y a pas de reddition de comptes et il est clair que le ministère de la Sécurité publique ne supervise pas ces enquêtes.»

Selon Mme Saint-Germain, l'absence de règles claires a nécessité des commissions d'enquêtes spéciales ou des enquêtes du Bureau du coroner afin d'éclaircir les circonstances d'interventions policières.

La protectrice a notamment illustré cette situation en faisant référence à l'enquête du coroner ad hoc André Perreault, actuellement en cours à la suite d'une intervention policière qui s'est soldée par le décès de Fredy Villanueva, en août 2008.

«Si le bureau des enquêtes spéciales avait été créé, si la formation des policiers était différente, si le processus d'enquête était plus indépendant, il est possible que nous n'aurions pas cette obligation d'avoir, à grands frais, une enquête spéciale ad hoc du coroner», a-t-elle dit, en prenant soin de préciser que son rapport ne porte pas sur l'affaire Villanueva et qu'elle fait confiance à M. Perreault.

Pour appuyer ses recommandations, Mme Saint-Germain a donné l'exemple de l'Ontario, du Royaume-Uni et de l'Irlande du Nord, qui disposent d'organismes d'enquête indépendants des services policiers.

Le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, a affirmé qu'une réflexion était en cours afin de préserver la confiance de la population envers les enquêtes menées par des policiers sur les interventions de leurs collègues.

«La réflexion que nous avons, qui est considérablement avancée je dois le dire, tend vers cet objectif, c'est-à-dire modifier la politique qu'on a eue jusqu'à maintenant, pour permettre que la population sache, et que nous sachions, qu'il y a dans ces enquêtes là impartialité et pas de complaisance de la part d'un corps de police à un autre», a-t-il dit.

Lors d'un point de presse, M. Dupuis a cependant montré des fortes réserves concernant la formule mise de l'avant pour le bureau d'enquêtes spéciales, qui regrouperait, à terme, une majorité d'enquêteurs civils travaillant en collaboration avec d'anciens policiers, de façon à bénéficier de leur expertise.

«La principale réserve que j'ai, envers la suggestion de la protectrice du citoyen, c'est que si on devait créer un bureau indépendant, pour faire des enquêtes de police, il faudrait engager des ex-policiers pour faire les enquêtes donc on tourne peut-être en rond, a-t-il dit. Mais on verra.»

Le Parti québécois a estimé que le gouvernement doit agir afin de régler cette question récurrente de l'indépendance et de l'impartialité des enquêtes sur le travail des policiers.

«La protectrice du citoyen est très sévère à l'égard de cette politique ministérielle, a déclaré le député Betrand Saint-Arnaud. Elle a des propos extrêmement durs sur l'actuelle politique. Pour nous il est clair qu'elle doit être modifiée.»

L'Association des directeurs de police du Québec, la Sûreté du Québec, le Service de police de la Ville de Montréal et la Fraternité des policiers de Montréal ont refusé de commenter les propositions de la protectrice, invoquant la nécessité de les étudier en profondeur.

Dans son rapport, Mme Saint-Germain s'appuie sur l'affaire Villanueva pour illustrer que le manque d'encadrement des enquêtes peut entraîner un traitement différent des civils et des policiers impliqués dans l'incident.

La protectrice s'interroge notamment sur le fait que, contrairement aux autres témoins, les policiers montréalais impliqués dans l'incident n'ont pas été isolés les uns des autres et interrogés directement par les enquêteurs de la Sûreté du Québec mandatés par le ministère de la Sécurité publique.

«Ce traitement différent, qui ne semble pas avoir de justification évidente quant à la bonne conduite de l'enquête, nuit sans raison à la crédibilité des enquêteurs, qui ont pu par ailleurs mener leur enquête de bonne foi», indique le document.

Selon le rapport spécial, en Ontario, une réglementation encadre étroitement les enquêtes menées sur des policiers et prévoit notamment l'obligation d'isoler les policiers impliqués dans les événements pour éviter qu'ils se concertent avant de fournir leur version des faits.