Pour avoir mis en oeuvre un stratagème aussi abracadabrant que malicieux afin de se faire passer pour une victime d'erreur judiciaire, Jamil Harouya a écopé de deux ans de prison, vendredi, au palais de justice de Montréal.

En rendant la sentence en fin d'après-midi, le juge Marc David a parlé d'un «scénario extrême» et d'un «acharnement démesuré» de la part de Harouya. Accusé de parjure, d'entrave, de fabrication de faux et de méfait public, Harouya, 38 ans, avait choisi de se faire juger par un jury. Il a été déclaré coupable de toutes les accusations, vendredi matin, au terme d'un procès de trois semaines.

 

Selon la preuve présentée par la Couronne, Harouya voulait faire croire qu'il avait été injustement accusé d'attouchements sexuels sur un garçon de 12 ans. En 1996, il avait rencontré le jeune dans le métro et l'avait amené dans un cinéma, où il s'était livré à des gestes sexuels à son égard. Le garçon en a parlé à sa mère, qui a porté plainte. Harouya a été arrêté, jugé et condamné, deux fois plutôt qu'une puisqu'il a eu deux procès (dont un en appel), qui se sont soldés par le même verdict de culpabilité. Il a écopé d'une peine de prison, qu'il a purgée. L'avocat qui le représentait est mort vers la fin du processus judiciaire, en 1998. Selon ses prétentions, Harouya serait allé récupérer son dossier au bureau de cet avocat et l'aurait rangé chez lui, sans le consulter.

Au tournant des années 2000, en faisant du ménage dans ses affaires, surprise! Dans le fameux dossier, il soutient qu'il y avait une lettre d'un certain Jean Blanchet, datée de mars 1998, signalant que la justice s'était trompée de coupable en condamnant Harouya. M. Blanchet, un sexagénaire, affirmait que lui-même se trouvait dans le cinéma en question, assis derrière le jeune, et que celui-ci se trouvait seul. De plus, le jeune aurait avoué à M. Blanchet qu'il avait inventé cette histoire d'agression parce qu'il craignait de se faire gronder par sa mère pour sa rentrée tardive.

Preuve nouvelle!

Fort de cette lettre, Harouya a fait des démarches pour faire rouvrir l'enquête policière et son dossier judiciaire, et pour intéresser un avocat à son histoire. Il prétendait ne pas connaître M. Blanchet.

Mais voilà, après avoir signé des déclarations sous serment attestant de la véracité de ses révélations, M. Blanchet est revenu sur ses propos. Il a avoué qu'il s'agissait d'un «tissu de mensonges», concoctés par Harouya. C'est ce dernier, qu'il connaissait depuis le début des années 80, qui lui avait demandé de signer des lettres pour le disculper. M. Blanchet avait accepté, mais il n'était pas prêt à aller répéter ces mensonges devant le tribunal. Ayant appris cela, le premier avocat trouvé par Harouya a laissé tomber le dossier, imité par le second. Harouya a décidé de pousser l'affaire sans avocat. Il a obtenu une audience en Cour supérieure le 25 novembre 2003, au cours de laquelle il a raconté sa fausse histoire... qui n'a pas été crue. Cela lui a valu les accusations pour lesquelles il a été condamné vendredi.

Soulignons que, à son procès devant jury, Harouya a maintenu qu'il n'avait pas concocté ce scénario et qu'il ne connaissait pas Blanchet avant l'an 2000. «C'était tout un tissu de mensonges. Ça prend un génie pour inventer ça», a pour sa part persisté à dire M. Blanchet, 76 ans, quand il a témoigné au dernier procès.

La procureure de la Couronne Éliane Perreault recommandait trois ans de prison, tandis que l'avocate de la défense, René Dadie Carline, espérait une peine avec sursis de 18 mois. Le juge a opté pour deux ans de prison ferme.

Harouya, un Marocain arrivé au Canada au début des années 80, réside actuellement dans la région de Gatineau. Célibataire, il travaille comme préposé aux bénéficiaires auprès de personnes âgées, tout en étudiant pour devenir ergothérapeute. Il a pris la direction des cellules immédiatement après l'audience, vendredi.