Vingt ans après la tuerie de Polytechnique, la remise en question actuelle du registre des armes à feu «n'a pas de sens» et constitue un danger pour la sécurité publique, estime une coalition de groupes.

Ceux-ci se sont attaqués ce matin à la «désinformation» entourant ce débat, le fait selon eux des opposants au registre influencés par le puissant lobby américain des armes à feu. En conférence de presse, la présidente de la Coalition pour le contrôle des armes à feu, Wendy Cukier, a notamment évoqué les «millions de dollars dépensés pour mener des campagnes ciblées» contre le registre des armes à feu.

Le 4 novembre dernier, onze ans après l'introduction de l'enregistrement obligatoire des armes d'épaule au Canada, un projet de loi privé déposé par une députée conservatrice a franchi le cap de la deuxième lecture à la Chambre des communes. Ce projet de loi, s'il franchit la troisième lecture et est entériné par le Sénat, éliminerait l'obligation des propriétaires d'armes d'épaule, essentiellement des armes de chasse, d'enregistrer leur fusils et carabines. Après plus d'une décennie d'enregistrement, et malgré l'amnistie accordée par le gouvernement conservateur depuis 2006, quelque sept millions d'armes appartenant à deux millions de personnes ont été consignées dans le registre.

«Toutes les armes doivent être enregistrées: les fusils et les carabines tuent aussi bien que des pistolets et des revolvers, estime Mme Cukier. Là où il y a une arme à feu, il y a plus de femmes tuées par la violence conjugale, il y a plus de suicides. C'est une ironie que là où il y a le plus d'armes, il y a le plus d'opposition à l'enregistrement.»

Deux représentants syndicaux des policiers ont témoigné tour à tour de l'importance du registre dans le cadre du travail des forces de l'ordre. «Nous sommes étonnés que le gouvernement conservateur s'acharne à vouloir démanteler une partie importante du registre, a déclaré Denis Côté, président de la Fédération des policiers municipaux du Québec. L'enregistrement des armes responsabilise les propriétaires. La réticence de certains, alors qu'un chasseur doit obtenir de cinq à six permis, est incompréhensible. Il faut arrêter de crier au loup, il y a des limites.»

Les policiers à la grandeur du Canada consulteraient le registre plus de 10 000 fois par jour, a-t-il rappelé. Cet outil leur permet essentiellement d'évaluer la menace représentée par certains suspects et d'intervenir de façon préventive quand on constate la présence de nombreuses armes à feu dans un domicile. Dans la foulée de la tuerie de Dawson, en septembre 2006, il aurait notamment été utilisé pour arrêter des suspects qu'on soupçonnait de vouloir imiter Kimveer Gill.

«On ne se prive pas d'un outil précieux sous prétexte qu'il n'est pas parfait», dit Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers de Montréal.

Entre 1995 et 2005, le nombre de décès par armes à feu est passé de 1125 à 818 au Canada. Au Québec, on est passé pendant cette décennie de 347 à 226 décès, dont la plus grande part, soit 188, sont dus à des suicides.

«Il est faux de voir dans ce débat une opposition entre les bandits et les honnêtes gens. En ce qui concerne le suicide, on parle de gens à une période vulnérable de leur vie qui ont accès à ce moment-là à une arme à feu», estime Bruno Marchand, directeur de l'Association québécoise pour la prévention du suicide.

Sylvie Haviernick, dont la soeur Maud a été tuée par Marc Lépine le 6 décembre 1989, s'est dite « étonnée » que la pertinence du registre puisse encore être remise en question vingt ans plus tard. Le lobby anti-registre, selon elle, ne représente qu'une faible partie de la population. «Il y a 20 ans, le contrôle des armes à feu faisait consensus pour contrer la violence. C'est un outil indispensable et bien concret.»

Après avoir coûté deux milliards pour son implantation, le registre des armes à feu exige maintenant un budget annuel de 74 millions pour sa mise à jour, précise Yves Francoeur. L'abolition de sa partie la plus importante, les armes d'épaule qui représentent 89% des armes enregistrées, ne permettrait qu'une économie de trois millions.