Envahi par des odeurs d'essence depuis près de quatre ans, un restaurateur d'Outremont ferme ses portes et accuse la pétrolière Ultramar d'être à l'origine de ses problèmes. Les propriétaires de la Bête humaine, avenue Van Horne, ont décidé de plier bagage, conséquence d'un déversement survenu dans la station-service voisine en février 2006.

L'odeur de la pièce rappelle celle d'un garage. C'est pourtant la salle à manger du restaurant haut de gamme. Le commerce est fermé depuis le mois de mars et ses propriétaires viennent de décider qu'il ne rouvrira pas.

 

Sur le mur de brique, un tableau annonce toujours l'entrée du jour, le ris de veau poêlé. Les tables et les chaises sont entassées le long des murs, le bar est vide et les sofas sont rangés dans la pièce arrière. Au sous-sol, ce qui était autrefois la cuisine est maintenant un cratère. Au fond stagne une eau brune et huileuse. On voit toujours le four à micro-ondes accroché au mur.

«On est victimes d'une grave injustice», tranche Emmanuel Lopes, propriétaire du commerce.

L'entrepreneur est engagé dans un bras de fer avec Ultramar depuis 2006. Il souhaite obtenir près de 750 000$ pour compenser ses pertes. Mais il hésite à poursuivre la multinationale, car il craint un long procès qui lui coûtera des dizaines de milliers de dollars en frais d'avocats.

Catastrophe

Le restaurant a ouvert ses portes en novembre 2005 sous la direction de M. Lopes et de partenaires dont Victor Charlebois, fils de Robert Charlebois. À peine trois mois plus tard, le commerce est frappé par la catastrophe.

Le soir de la Saint-Valentin, le 14 février 2006, un camion de ravitaillement est arrivé à la station Ultramar située juste à côté. Les causes précises de la bourde sont inconnues. Chose certaine, des centaines de litres de carburant se sont déversés sur le terrain et dans les alentours en un clin d'oeil. Infesté par l'odeur, le restaurant ferme.

Le camionneur affirme d'abord à Ultramar qu'il ne s'est rien passé d'anormal pendant la livraison, ce qui s'avère faux quelques jours plus tard. La pétrolière fait nettoyer le terrain et lance des travaux de décontamination. Elle poursuivra son fournisseur plus tard.

Le restaurateur reprend ses activités au bout d'un mois et demi. Mais un an plus tard, à la fin de l'hiver 2007, le dégel ramène l'odeur d'essence à la surface. Ultramar installe une machine qui filtre l'air, ce qui semble contenir le problème pour un temps. Selon M. Lopes, le scénario se répète au dégel de 2008, et encore en 2009.

Ultramar décide de fermer la station en mai 2009. Elle enlève les réservoirs d'essence qui se trouvaient sous terre et commande une analyse des lieux. L'endroit sert de station-service depuis 1926 et la contamination est beaucoup plus importante qu'on l'avait cru au départ.

«Il y avait vraisemblablement du produit emprisonné dans le sol quelque part et qui, peut-être à cause de la fonte, de la neige ou de la pluie, s'est libéré et a créé de nouvelles odeurs», explique le porte-parole d'Ultramar, Louis Forget.

Compensations

Ultramar a investi 300 000$ pour décontaminer le terrain et elle paie le loyer de la Bête humaine depuis six mois. Mais pour M. Lopes, l'entreprise s'est montrée beaucoup moins pressée à le dédommager pour ses pertes. Ses associés et lui réclament 732 000$ pour rembourser leurs créanciers et récupérer leur investissement initial.

«Cette situation n'aurait jamais dû se rendre jusque-là, dit-il. Ultramar aurait dû prendre des actions dès le départ. On n'était pas capables de leur parler, on n'était pas capables d'avoir des échanges courtois avec eux.»

Louis Forget reconnaît qu'Ultramar «a certaines responsabilités» dans l'affaire. La société souhaite toutefois que les associés de la Bête humaine produisent une évaluation de leurs pertes avant de négocier une compensation.

«Une fois qu'on aura reçu ces informations, on fera faire une contre-évaluation par des experts qui connaissent le milieu de la restauration et qui peuvent nous dire que ç'a du sens, explique M. Forget. À partir de là, il y a une offre qui va être faite.»