Attentats au cocktail Molotov, intimidation dans les bars, dans les rues et dans les parcs: à Montréal, les gangs de rue surtout, mais aussi de petits revendeurs indépendants tentent de se tailler une place dans le trafic de drogue en attendant que se réorganisent les Hells Angels et la mafia montréalaise, ébranlés par les nombreuses razzias de la police depuis trois ans.

Selon les spécialistes, cette vague d'incidents illustre le «fractionnement» de la pègre montréalaise et les luttes de territoire que se livrent les trafiquants des échelons inférieurs en l'absence d'un véritable leader depuis l'arrestation de Vito Rizzuto, en 2004.

 

«La mafia et des motards sont ébranlés, c'est sûr, et il n'y a personne d'assez fort qui a l'envie, ni peut-être la force, du moins pour l'instant, de réagir à tous ces petits trafiquants qui cherchent à se faire une place coûte que coûte», avance Pierre de Champlain, auteur de livres sur le crime organisé et ancien analyste du service de renseignement de la GRC, à Ottawa.

Poussant plus loin la réflexion, M. de Champlain estime que le temps où des organisations comme la mafia et les motards dominaient à Montréal achève peut-être. «Comme toute chose, le milieu interlope au sens traditionnel, avec une hiérarchie, l'aura d'un chef comme Vito Rizzuto, par exemple, est peut-être appelé à changer. De plus en plus, on a aujourd'hui des criminels qui s'allient selon les besoins, au gré des circonstances», dit-il.

Selon lui, on ne peut plus vraiment parler de gangs de rue comme dans les années 80. Certes, il y a encore des petites bandes qui se créent au coup par coup et se défont aussi rapidement. «Mais il y en a d'autres qui existent depuis des années et qui prennent de plus en plus de place», assure M. de Champlain. Avec le résultat que leurs chefs sont aujourd'hui des criminels d'expérience et qu'ils sont en mesure de négocier, sinon de rivaliser avec la mafia et les motards.

Des enquêtes récentes ont notamment démontré que d'anciens membres de gangs de rue comme Dany Cadet Sprince, à la tête des Syndicates, ou le clan des frères Zéphir s'occupaient de la distribution de la drogue dans le centre-ville pour le compte des Hells Angels. «Les gangs de rue prennent de plus en plus de place. Il y a constamment de nouveaux venus et le territoire est de plus en plus fragmenté. À moins d'un coup de force, la mafia et les motards peuvent de moins en moins les ignorer et devront apprendre à faire avec eux», soutient M. de Champlain.

Affaiblis par les raids policiers qui ont culminé avec l'opération antimafia de novembre 2006 et la toute récente opération SharQc, qui a touché les cinq chapitres des Hells Angels, les deux gangs, aussi dominants soient-ils, ne sont pas nécessairement en mesure de passer à l'action pour le moment. «La mafia et les motards sont fragilisés, tous les principaux leaders sont en prison, en probation ou recherchés», souligne l'ancien spécialiste de la GRC.

C'est ce qui explique, à n'en pas douter, que les mafiosi montréalais aient acheté la paix quand le gang des frères Célestin a pris d'assaut des bars et des cafés qu'ils détenaient dans l'est de la ville, plus particulièrement dans le quartier Rivière-des-Prairies, l'an passé. Après plusieurs fusillades, le calme est soudainement revenu. C'est peut-être ce qui se passe depuis quelque temps dans le quartier Saint-Michel, mais cette fois à coups de cocktails Molotov et de bombes incendiaires.