Les groupes criminels organisés trempent de plus en plus dans la contrebande de cigarettes au pays, un commerce fort lucratif. Et la Gendarmerie royale du Canada (GRC) sonne l'alarme devant l'ampleur du phénomène.

Selon les enquêteurs de la GRC, une centaine d'organisations criminelles font la contrebande de cigarettes au pays pour blanchir de l'argent ou augmenter leurs revenus. C'est ce que démontrent des documents obtenus par La Presse grâce à la Loi sur l'accès à l'information. La situation est telle que les profits de la contrebande de cigarettes rivalisent maintenant avec ceux des drogues, selon certains experts.

Les Hells Angels constituent le groupe le plus connu de cette longue liste. D'ailleurs, en juin, les policiers ont démantelé un réseau de trafic de stupéfiants et de contrebande de tabac exploité par les Hells Angels dans plusieurs régions du Québec.

Ces groupes utilisent aussi l'argent de la contrebande de cigarettes pour acheter des armes ou pour soutenir un réseau de prostitution.

Depuis 2001, les saisies de cigarettes de contrebande réalisées par la GRC ont d'ailleurs bondi de 2100%, toujours selon nos documents. En 2008, la GRC a saisi plus d'un million de cartouches de cigarettes, un record.

«La présence accrue des groupes criminels organisés dans les activités de contrebande de cigarettes constitue une source de préoccupation grandissante pour la sécurité des communautés, la santé publique et l'intégrité de l'économie», affirme-t-on dans les documents remis au ministre de la Sécurité publique, Peter Van Loan, au début du mois de septembre.

Selon les autorités policières, les groupes criminels réussissent à introduire illégalement des cigarettes au Canada à partir des États-Unis. Comme c'est le cas depuis plusieurs années, le gros du trafic se fait dans la région de la vallée centrale du Saint-Laurent. Les activités de contrebande sont monnaie courante du côté américain du territoire mohawk d'Akwesasne, où les autorités américaines tolèrent des dizaines d'usines de fabrication de cigarettes sans permis, à Kahnawake, au Québec, et dans la réserve Tyendinaga et des Six-Nations en Ontario, selon la GRC.

La GRC compte quelque 500 policiers en tout au pays qui ont comme mandat de lutter contre la contrebande de cigarettes. Selon les autorités policières, 95% du commerce illicite en sol canadien se déroule au Québec et en Ontario. Les adolescents seraient de grands consommateurs de cigarettes de contrebande.

Devant l'ampleur du phénomène, le ministre fédéral du Revenu, Jean-Pierre Blackburn, a rencontré à Québec il y a trois semaines le ministre québécois de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, et son collègue du Revenu, Robert Dutil, le ministre du Revenu de l'Ontario, John Wilkinson, et des fonctionnaires fédéraux afin de discuter des moyens pour mieux lutter contre la contrebande.

«La contrebande du tabac est un dossier qui est devenu des plus sérieux. Nous avons convenu de la nécessité d'agir de manière concertée pour mieux s'y attaquer», a affirmé M. Blackburn à La Presse jeudi.

Rappelons que le gouvernement fédéral perd annuellement environ 2 milliards de dollars de revenus à cause de ce problème. Les pertes du fisc québécois frisent les 300 millions et celles de l'Ontario s'élèvent à plus de 500 millions.

Selon nos sources, le gouvernement fédéral était prêt à entreprendre des pourparlers avec les peuples autochtones pour leur donner le pouvoir d'imposer une taxe sur le tabac équivalente à la taxe provinciale. Cette mesure leur permettrait d'engranger des revenus. Toutefois, les dirigeants autochtones se seraient montrés peu intéressés jusqu'ici par cette offre, qui aurait aussi nécessité l'approbation de l'Ontario et du Québec.

En mai 2008, le gouvernement Harper a annoncé une nouvelle stratégie de lutte contre la contrebande de tabac, mais elle tarde à donner des résultats convaincants, selon les députés libéraux, bloquistes et néo-démocrates. Ces derniers ont même envoyé une lettre à Stephen Harper et aux ministres Peter Van Loan, Jean-Pierre Blackburn et Leona Aglukkaq pour leur proposer de nouvelles pistes de solution.

Dans cette lettre, datée du 7 mai 2009, que La Presse a obtenue, les députés proposaient notamment de faire pression sur les États-Unis afin qu'ils ferment les usines de tabac illégales et de permettre aux peuples autochtones d'imposer une taxe sur le tabac.

Cette semaine, l'Assemblée nationale a adopté le projet de loi 59, qui donne au ministère québécois du Revenu le droit d'imposer un moratoire sur les permis de fabriquer des cigarettes et impose des amendes plus sévères aux contrebandiers tout en accordant aux policiers des pouvoirs de perquisition accrus. Les policiers de la Sûreté du Québec pourront utiliser leurs nouveaux pouvoirs également dans les réserves autochtones.

Pour sa part, Ottawa obligera sous peu les fabricants de cigarettes à apposer sur chaque paquet de cigarettes un hologramme similaire à celui qui se trouve sur les billets de banque. Les fabricants devront se procurer auprès de l'Agence du revenu des bandes holographiques inimitables. À l'heure actuelle, les contrebandiers réussissent à imiter les paquets de cigarettes et le petit timbre de cellulose.

Le ministère que dirige Jean-Pierre Blackburn lancera aussi au début de l'an prochain une offensive publicitaire nationale dirigée vers les fumeurs qui achètent des cigarettes de contrebande. On leur rappellera qu'en agissant ainsi, ils soutiennent indirectement les activités du crime organisé.

- Avec William Leclerc