Alors que des générations de femmes ont rêvé d'un voile blanc, Myriam*, elle, n'est pas princesse pour deux sous. Si un jour, comme dans d'autres provinces canadiennes, les conjoints de fait risquaient de se devoir une pension alimentaire et tout le tralala, elle ne serait plus concubine, mais voisine. «Je m'achèterais quelque chose pas loin de chez mon chum, mais je ne vivrais plus en permanence sous le même toit qu'un homme.»

Vérification faite, cela ne serait d'aucune utilité: devant les tribunaux, c'est la présence ou pas d'un projet de vie commun, et non d'un toit commun, qui détermine la nature d'une union.

Myriam s'en étonne. Elle va creuser cela, comme elle s'est assurée jusqu'ici de protéger ses arrières afin de ne rien, rien, rien devoir à son homme en cas de rupture.

C'est que Myriam, qui a étudié et qui a gravi un à un les échelons d'une entreprise dont elle est aujourd'hui cadre supérieure, s'est trouvé un prince charmant qui, à son grand désespoir, a gardé un côté très grenouille. Moins il décroche de contrats de déneigement, mieux il se porte, car il préfère se consacrer à ses passions personnelles. Quinze mille dollars, annuellement, lui suffisent amplement. Le couple n'a pas d'enfant. Myriam joue à contrecoeur les pourvoyeuses et son homme trouve cela parfait. Myriam, non.

Au rythme où les filles décrochent des diplômes et où les garçons décrochent tout court, Myriam risque d'être un cas de moins en moins isolé.

Pour Sylvie aussi, il y a «inversion des rôles traditionnels» mais, dans son cas, sans acrimonie aucune. Médecin, Sylvie a eu la possibilité de pousser plus encore sa formation à l'étranger pendant deux ans. Son amoureux, avec lequel elle a un enfant, a obtenu un congé sabbatique pendant la première année, mais il devra vraisemblablement démissionner après. Avant le départ - avant l'affaire Lola, aussi -, ils se sont mariés civilement. Pour faciliter l'obtention des visas, mais aussi, dit Sylvie, parce qu'elle voulait prouver son engagement à l'heure où son amoureux s'apprêtait à faire de grands sacrifices pour le bien de la famille. Et, ajoute-t-elle, «je ne souhaite pas qu'il parte de rien si un jour les choses tournent mal».

Il reste que pour l'heure, au Québec, les situations comme celle de Christiane demeurent plus répandues. Christiane se décrit comme une «conjointe de fait en deuil de mariage». «Moi, j'ai toujours voulu me marier, dit-elle. Pour mon conjoint, pas question. Comme il était matériellement mieux pourvu que moi lorsque nous nous sommes rencontrés - il avait déjà sa maison qu'il achevait de payer - et comme son salaire est beaucoup plus élevé que le mien, je ne pourrai jamais acheter 50% de la maison que nous habitons et je ne pourrai jamais payer 50% des dépenses relatives à la maison. De toute façon, si j'achetais 10% de la maison, que me reviendrait-il en cas de séparation? Dix pour cent.»

Christiane, elle, paie l'épicerie, la femme de ménage, les cours des enfants, son auto. «Je dépense. Lui, il investit.»

«Vous direz que s'il n'était pas là, je ne mènerais pas la vie que je mène présentement. Vrai. Par contre, je ne suis pas non plus nécessairement dans la ouate. Je paie 50% des frais reliés aux vacances et à la fin du mois, après la garderie, l'épicerie, les coûts liés à l'auto, il ne me reste pas une énorme somme à mettre de côté.

«Je m'occupe également des enfants, poursuit-elle. C'est un très bon père, mais il est parfois absent. Dans moins de 10 ans, il sera plusieurs fois millionnaire. Mais si je n'étais pas là, pourrait-il se permettre autant de rencontres en dehors des heures de bureau?

«Si on se sépare, j'aurai une pension pour les enfants, mais je n'aurai pour moi que mon salaire annuel de 38 000$. La loi doit changer. En attendant, j'espère simplement que l'amour ne nous lâchera pas.»

Mélanie, pour sa part, a obtenu gain de cause auprès de son amoureux. Mère de trois enfants et conjointe de fait depuis 12 ans, elle voyait sa propre mère, inquiète, lui refiler à répétition des dépliants de la Chambre des notaires sur l'absence d'obligation mutuelle entre conjoints.

Le sujet revenait souvent dans le couple, mais sans suite. Jusqu'à l'affaire Lola. «Ça a précipité les choses, dit Mélanie. Je ne lui ai pas tordu le bras, mais je lui ai fait comprendre que ma situation m'inquiétait.»

Mariage il y a eu, pour des raisons toutes juridiques. N'empêche, « au palais de justice, on avait le choix d'échanger ou pas des anneaux. Nous avons choisi de le faire, et nous ne sommes pas faits en bois. Au moment du geste symbolique, nous étions pas mal remués!»

De son côté, Josianne raconte à la blague qu'elle a fait du père de ses quatre enfants un «marié obligé». «Puisque la maison est au nom de mon conjoint seulement, je me sens plus rassurée maintenant.»

Pour quelques mariages «obligés» depuis l'affaire Lola, combien de disputes conjugales?

En tout cas, un appel lancé sur Cyberpresse a suscité des réponses très variées. Certains de nos correspondants ont défilé devant l'autel, incités à cela par l'affaire Lola. D'autres, plus nombreux, envisagent une entente notariée. Plus nombreux encore sont ceux qui disent qu'en cas de victoire de Lola - une victoire loin d'être impossible, selon plusieurs avocats qui suivent la cause de près -, ils ne s'engageront tout simplement plus. Les droits et devoirs mutuels? Niet. «Après un divorce qui m'a coûté un bras, si les règles changent entre conjoints de fait, je redeviens aussitôt célibataire.» «On peut vouloir partager sa maison et son lit sans vouloir partager sa fortune, non?»

Et ce courriel, de Guy, intitulé: «Moi si j'étais une femme...» Il y explique que lui, il se trouverait un Éric (l'ex de Lola) ou un Paul McCartney. Bref, s'il était une femme, écrit-il, il serait «la Earl Jones du mariage».

En filigrane de ces missives, de la peur et de l'aigreur. Quarante ans d'accès au divorce - et à ses solutions intrinsèquement imparfaites - y sont pour quelque chose. Le Québec est peu «marieux». «Beaucoup ont souffert du divorce de leurs parents ou de leur propre divorce, fait observer le psychologue François St-Père. Les gens ont peur d'être trahis ou de se retrouver devant un juge qui les obligera à partager leurs biens avec quelqu'un qui les aura blessés. On est plus conscient aussi que l'amour, de nos jours, ce n'est plus nécessairement à la vie, à la mort.»

*Les prénoms de tous nos interlocuteurs ont été changés afin de préserver leur anonymat.