La Cour d'appel donne préséance à la liberté d'expression sur la protection à la vie privée et renverse une ordonnance de non-publication qui visait le journal La Presse.

Dans ce qui constitue une victoire «majeure» pour le droit du public à l'information, la Cour d'appel du Québec a donné raison jeudi à La Presse et à son journaliste Joël-Denis Bellavance dans la cause les opposant au Groupe Polygone.

De façon unanime, les trois juges de la Cour d'appel ont notamment décidé que les journalistes ont le droit de diffuser une information, même si leur source l'a obtenue ou transmise en commettant une faute. «Interdire aux journalistes d'utiliser des informations confidentielles aurait pour effet de limiter sérieusement, sinon anéantir, leur capacité d'enquête et de cueillette d'information», écrit le juge Hilton.

«C'est donc à tort que le juge de première instance (affirme) que les journalistes recevant des informations d'une source (qui viole) une obligation de confidentialité ne peuvent les diffuser légalement, ajoute plus loin le juge Dalphond. Une telle règle n'existe pas au Canada.»

Selon l'avocat de La Presse dans ce dossier, Christian Leblanc, le plus haut tribunal au Québec a rendu une décision historique en matière de liberté d'expression et de droit à l'information. «Il n'y a aucune décision québécoise, même canadienne, là-dessus. C'est une première. La Cour d'appel vient clarifier ce qui est une grande victoire pour la liberté de presse. Si un journaliste obtient une information d'une source qui l'a peut-être obtenue de façon illégale, on peut quand même la publier. Le juge de première instance prétendait qu'on avalisait ainsi une faute. Si c'était le cas, des affaires comme le Watergate n'auraient jamais vu le jour.»

En avril dernier, le juge Jean-François de Grandpré, de la Cour supérieure, avait interdit à La Presse de diffuser toute information sur les négociations entre le Groupe Polygone, un acteur du scandale des commandites, et le gouvernement fédéral. Le 1er avril, La Presse avait publié un article révélant que l'entreprise avait relancé discrètement les négociations et proposait de rembourser cinq millions sur les 39 millions reçus dans le cadre du programme des commandites. Cette dernière information financière reprenait essentiellement les termes d'un article du Globe and Mail datant de l'automne 2008 - qui avait d'ailleurs valu à l'époque au quotidien torontois une ordonnance de non-publication.

En avril dernier, estimant que son droit à la vie privée et la bonne administration de la justice étaient menacés, Groupe Polygone avait demandé et obtenu une ordonnance interdisant à La Presse d'évoquer ces négociations. Le juge de Grandpré avait notamment statué que l'information obtenue par les journalistes provenait manifestement d'une source gouvernementale liée par un devoir de confidentialité. Ce devoir ayant été brisé, le journaliste «acquiert donc l'information suite à la commission d'une faute qu'il n'a pas le droit d'avaliser», a estimé en première instance le juge de Grandpré.

Faux, a rétorqué jeudi la Cour d'appel. Que ce soit pour le Watergate ou le scandale des commandites, «l'histoire démontre que la préservation de la démocratie (...) n'est parfois possible que grâce à des fuites à un journaliste par des sources non autorisées à les communiquer», dit le juge Dalphond.

«C'est un jugement majeur, estime Philippe Cantin, éditeur adjoint à La Presse. On se réjouit beaucoup de voir que le droit du public à l'information a été affirmé aussi clairement. Pour nous, ce jugement confirme que le droit du public est un droit reconnu dans notre jurisprudence. Et que notre capacité à mener des enquêtes journalistiques essentielles à la démocratie est reconnue avec force.»

Les avocats de Groupe Polygone, devenu Malcolm Media, ont 30 jours pour porter la décision en appel. La cause du Globe and Mail, toujours sous le coup d'une ordonnance de non-publication similaire depuis novembre 2008, sera par ailleurs entendue en Cour suprême le 21 octobre prochain. En cas d'appel de Groupe Polygone, la Cour suprême pourrait regrouper les deux causes, qui soulèvent essentiellement les mêmes règles de droit.