Près du petit autel aménagé à la mémoire de son frère, mardi, Wendy Villanueva faisait face avec aplomb aux micros et caméras de télé braqués sur elle. Non, elle n'a pas commenté la reprise de l'enquête du coroner Sansfaçon. Oui, elle croit que les choses se sont améliorées à Montréal-Nord depuis la mort de son frère. «Mais tout le monde, y compris les policiers, doit réaliser que nous sommes des personnes, qu'on n'enlève pas la vie aux gens.»

Et puis, sa gorge s'est nouée, ses yeux se sont embués. «Ma famille est cassée en mille morceaux... On ne peut pas trouver la paix.»

 

Il y a un an, la jeune femme n'aurait certainement pas imaginé qu'elle deviendrait la porte-parole de sa famille endeuillée aux côtés de militants antiracisme, antirépression policière, altermondialistes, etc. Il y a un an, Wendy, 26 ans, deuxième de la famille de cinq enfants Villanueva, était mère au foyer tandis que son petit frère Fredy traînait ses 18 ans dans les parcs de Montréal-Nord après avoir terminé sa quatrième secondaire.

Le soir du 9 août 2008, Fredy Villanueva jouait aux dés avec des copains, au parc Henri-Bourassa, quand la police a interpellé son frère aîné, Dany. Dans l'altercation qui a suivi, un des deux policiers a tiré et Fredy Villanueva est mort. Le lendemain, une manifestation a viré à l'émeute. Depuis ce jour, Montréal-Nord est un centre d'attraction médiatique et politique.

Qu'est-ce qui a changé à Montréal-Nord depuis un an? «Il y a eu une brisure énorme qui a causé beaucoup de peine; on ne peut pas régler tout ça en quelques mois», dit Will Prosper, de Montréal-Nord Républik.

Brunilda Reyes, des Fourchettes de l'espoir, est d'accord. «Mais on sent que les gens commencent à prendre leur place.» Des citoyens prennent la parole pour s'opposer, par exemple, à des décisions municipales. «On ne voyait pas ça avant.» La campagne électorale municipale de novembre, où Mme Reyes se présentera pour la première fois à titre de candidate, promet d'être fébrile. D'autant plus que le maire sortant, Marcel Parent, ne se représentera pas.

L'année a été chargée pour celle qui s'est retrouvée sur le devant de la scène à cause de son engagement dans le quartier depuis 10 ans. Un an plus tard, elle fait son bilan. «J'ai retenu que je n'étais pas assez à l'écoute des gens, dit-elle pourtant. Il y a des choses que je n'avais pas vues.»

Prendre sa vie en main

D'abord resto populaire, les Fourchettes de l'espoir a élargi son mandat pour accompagner les gens du quartier qui veulent prendre leur vie en main. En avril, la première cohorte de Ma seconde chance, un programme financé par le fédéral et qui s'adresse aux décrocheurs de 20 à 30 ans, s'est installée dans ses locaux pour six mois.

Dans la salle à manger des Fourchettes, rue Pascal, Karl Sauvageau, Melissa Fernandez et Mohammed Hak prennent une pause avant le lunch. Il y a un an, Karl Sauvageau travaillait, de nuit, dans un entrepôt réfrigéré. «Rien de très valorisant», dit l'homme de 23 ans, qui avait abandonné le cégep. Melissa Fernandez, 21 ans, au chômage, venait de déménager rue Pascal. Et Mohammed Hak, 24 ans, avait côtoyé la pauvreté pendant quatre mois au Cambodge, une expérience «qui lui a permis d'ouvrir les yeux sur une autre pauvreté, à Montréal».

Montréal-Nord, quartier dangereux? «Mais non, disent-ils. Il y a des jeunes plein les parcs, c'est plein de vie», dit Mohammed. «Ceux qui disent que c'est dangereux ne savent pas de quoi ils parlent; il faut changer les perceptions», enchaîne Melissa. Karl retient que l'argent et le parrainage existent pour démarrer une entreprise ou simplement pour réinventer sa vie, qu'il ne reste qu'à les utiliser.

Un an plus tard, Karl Sauvageau a trouvé sa voie: il retournera au cégep pour devenir intervenant en santé mentale. Melissa Fernandez, elle, suivra un cours de coiffure. Mohammed Hak continuera en cuisine et rêve d'ouvrir son propre restaurant.

Le quartier change tranquillement. Le Canadien y construira une patinoire, le groupe Simple Plan financera une maison de jeunes, de nouveaux groupes communautaires lancent des projets. «Ce n'est pas plus facile, mais les bailleurs de fonds nous écoutent davantage», dit Mme Reyes.

Et Wendy Villanueva a aussi décidé de reprendre les études. «Je deviendrai architecte-paysagiste», dit-elle. Ses frères et soeurs feront bientôt des commentaires publics sur la reprise de l'enquête du coroner cet automne. Ils habitent près de leur mère, à l'est de Montréal. «Ma mère trouve toujours ça très difficile, elle a de la difficulté à sortir de la maison», dit Wendy Villanueva. Mais elle sera là, demain, pour la marche en mémoire de son fils.