Benoît Jean, greffier adjoint de la Cour municipale de Terrebonne, est accusé d'avoir effacé frauduleusement 335 condamnations au cours d'une période de deux ans. Avec son aide, plus de 200 personnes qui avaient été reconnues coupables d'infractions au Code de la route s'en sont tirées avec un acquittement.

M. Jean, 45 ans, a été inculpé au palais de justice de Saint-Jérôme sous deux chefs: fraude et fabrication de faux. Ces crimes entraînent des peines maximales de cinq et 10 ans, respectivement.

Selon Luc Papillon, directeur général adjoint de la Ville de Terrebonne, M. Jean assistait à la séance avec le juge en prenant les notes. Selon la procédure alors en vigueur, il enregistrait les verdicts le lendemain dans le système informatique. Ce système est en lien avec la Société de l'assurance automobile du Québec (SAAQ) pour le retrait des points d'inaptitude.

Dans certains cas, et apparemment contre rémunération, M. Jean aurait changé les verdicts prononcés par le juge, ce qui a parfois eu pour effet d'éviter au prévenu la suspension de son permis de conduire. «Il devait en tirer un avantage quelconque, dit M. Papillon. On a toutes les raisons de penser qu'il ne faisait pas ça gratuitement.»

M. Jean a été sommé de comparaître le 24 février dernier, ce qu'il a fait le 28 avril. Il n'a pas encore répondu aux accusations, selon son avocate, Me Mélanie Latour.

Selon le bureau des procureurs de la Couronne, personne d'autre n'est pour l'instant accusé dans cette affaire.

Les faits reprochés se sont déroulés à partir du 1er janvier 2007. Mais selon la Ville, les problèmes remontent à l'embauche de M. Jean, à l'automne 2004.

Sans précédent

La cause de M. Jean est sans précédent, selon ce qu'a pu vérifier La Presse hier. «Je n'ai jamais vu ça», a dit l'avocat Robert La Haye, qui a été juge à la cour municipale pendant 20 ans.

Me La Haye estime que les «clients» de M. Jean pourraient être à leur tour visés par des accusations. «La police va sûrement aller voir les gens en question et leur dire: "Avez-vous payé cette amende? Non? Pourquoi?" Les clients risquent les mêmes accusations, par complicité ou conspiration. Ils peuvent aussi être accusés de corruption de fonctionnaire.»

«Depuis neuf ans que j'occupe mes fonctions, c'est la première fois que j'entends parler d'une telle situation», affirme de son côté Me Julie Bussières, adjointe du juge en chef de la cour municipale.

M. Jean a été congédié le 14 avril 2008, selon M. Papillon. «Le 27 mars, son superviseur s'est aperçu que deux dossiers avaient été grossièrement falsifiés, explique-t-il. Après vérification, on a trouvé 15 dossiers de la même séance qui avaient été falsifiés.»

La Ville a prévenu la Sûreté du Québec le 20 juin 2008. Les enregistrements des audiences de milliers de causes entendues depuis quatre ans ont été écoutés. Puis, en septembre, la Ville a remis le résultat de son enquête à la SQ.

«On lui a remis 335 dossiers de fraude, qui touchaient 217 personnes différentes, dit M. Papillon. Heureusement, ce sont toutes des infractions liées au Code de la route. Il n'y avait aucun dossier criminel n'était impliqué.»

Toutes les causes dont le verdict a été falsifié ont été remises au rôle de la cour municipale l'hiver dernier, dit M. Papillon. «Il y a seulement deux ou trois contestations, dit-il. La Ville est en train de récupérer la quasi-totalité des amendes non perçues.» La somme en jeu était de l'ordre de 60 000 $.

Cependant, remarque M. Papillon, les personnes qui étaient sur le point de perdre leur permis ont peut-être échappé à cette sanction avec le passage du temps.

La Ville a aussi changé ses procédés. C'est maintenant une personne différente qui enregistre les verdicts dans le système informatique.

«Cette histoire a viré un paquet de monde à l'envers, dit M. Papillon. C'est une situation qui ne se produit vraiment pas souvent. Même si beaucoup de travail s'est fait, l'ambiance à la cour municipale a déjà été meilleure.»