Elle est devenue le symbole d'une cause: celle des conjoints de fait. Mais hier, «Lola», ancienne compagne d'un riche homme d'affaires québécois, n'a pas eu gain de cause devant la cour supérieure. Des universitaires unissent leur voix à la sienne et demandent plus de droits pour les conjoints de fait.

«Lola» ne touchera pas une pension alimentaire pour elle-même de 56 000$ par mois. Elle ne recevra pas une somme forfaitaire de 50 millions de dollars. Mais surtout, cette ex-conjointe de fait d'un riche homme d'affaires a échoué à invalider des dispositions du Code civil du Québec qu'elle jugeait «discriminatoires».

Si elle avait eu gain de cause, l'impact aurait été majeur au Québec, où le tiers des couples vivent en union de fait. À cet égard, le Québec est largement en tête de toutes les provinces canadiennes.

«Lola», 34 ans, ne s'avoue toutefois pas vaincue. Elle portera la cause en appel et ira jusqu'en Cour suprême s'il le faut, selon son avocate, Me Anne-France Goldwater. C'est d'ailleurs un autre ex-copain de «Lola», Herbert Black, qui a déboursé les honoraires d'avocats et le coût des expertises requises, des frais totalisant 1,5 million jusqu'à présent.

«Lola», une mère de famille d'origine brésilienne qu'on ne peut identifier, a ainsi été déboutée, hier matin, dans un volumineux jugement de la juge Carole Hallée de la Cour supérieure. «Lola» contestait la constitutionnalité des dispositions du Code civil du Québec ne permettant pas aux conjoints de fait d'obtenir les mêmes droits que les conjoints mariés. Or, la juge Hallée a tranché: il n'y a pas de discrimination. La magistrate a insisté sur l'objectif du législateur de respecter le libre choix de se marier ou non.

«Les conjoints de fait au Québec ne font l'objet d'aucune marginalisation, d'aucun stigmate, ni d'aucun préjugé. Dans notre société, l'union de fait représente un choix de vie tout aussi légitime et accepté que le mariage. Il n'y a en l'espèce aucun désavantage préexistant», écrit la juge dans son jugement d'une soixantaine de pages.

Selon la situation juridique des conjoints de fait au Québec, peu importe la durée de leur cohabitation, les conjoints de fait n'ont ni droits, ni devoirs, ni obligations respectives l'un envers l'autre. Cela signifie qu'ils n'ont aucun recours alimentaire l'un contre l'autre, ne peuvent partager le patrimoine familial et ne sont régis par aucun régime matrimonial légal. Et c'est ce que la cause de «Lola» a échoué à changer.

«Lola» prétendait aussi que seul le gouvernement fédéral devrait définir le mariage et ses obligations au Canada. La juge Hallée n'a pas retenu cet argument non plus. «Si l'argument de la requérante devait être retenu, écrit la juge, il aurait pour effet de modifier le partage des compétences entre le Parlement fédéral et les provinces.»

Les avocates de «Lola», Me Anne-France Goldwater et Me Marie-Hélène Dubé, ont accueilli le jugement «avec déception». «La requérante a voulu établir que tous les conjoints qui ont vécu dans une union durable - mariés ou non - méritent la même reconnaissance et la même protection lorsqu'ils sont confrontés à une rupture», ont-elles souligné, hier.

«Lola» a rencontré «Éric» au Brésil dans les années 90 alors qu'elle avait 17 ans. Ils se sont fréquentés périodiquement jusqu'à ce qu'elle emménage avec lui au Québec, en 1995. Malgré des difficultés éprouvées dès le début de leur relation, ils ont eu trois enfants ensemble et ont fini par se séparer définitivement en 2001.

»Ni gagnant ni perdant»

Les avocats d'«Éric», Me Pierre Bienvenu et Me Suzanne Pringle, ont pour leur part été «impressionnés par la rigueur de l'analyse et le raisonnement convaincant» de la juge Hallée. «Notre client a été entraîné contre son gré dans un débat constitutionnel. Il est évidemment satisfait du résultat, mais notre client est avant tout un père dans ce dossier. À titre de parent, il n'y a aujourd'hui ni gagnant, ni perdant», a dit Me Bienvenu. Le souhait le plus ardent d'«Éric» est de fermer ce chapitre et de «restaurer l'harmonie de sa famille», a ajouté son avocat.

C'est par choix personnel, parce qu'il «ne croit pas à l'institution du mariage», que le riche homme d'affaires ne voulait pas épouser sa compagne. Et aussi parce qu'il ne voulait pas mettre son entreprise en péril. La mère reçoit une pension alimentaire de 411 000$ par an pour ses enfants. «Éric» met également à sa disposition un chauffeur, une maison de 2,5 millions de dollars ainsi qu'un budget de 500 000$ pour la rénover, mais il en reste le propriétaire. Cela n'est pas remis en question ici. «Lola» s'est adressée aux tribunaux pour recevoir une pension alimentaire pour elle-même de 56 000$ par mois ainsi qu'une somme forfaitaire de 50 millions de dollars. Elle voulait aussi le partage de la valeur du patrimoine familial.

«Lola» demandait au tribunal de modifier la politique publique du Québec à l'égard des conjoints de fait, alors qu'«il n'appartient pas au tribunal de légiférer», rappelle la juge Hallée. «S'il est loisible de débattre la question de la meilleure politique publique pour les conjoints de fait, l'arène politique demeure le forum approprié pour un tel débat», écrit-elle.

«L'impact de cette décision est important. Elle reconnaît l'objectif du législateur de respecter le libre choix de se marier ou non ainsi que le caractère non discriminatoire des dispositions du Code civil du Québec sur les droits et obligations découlant du mariage», souligne pour sa part le procureur Me Benoît Belleau, qui représente la procureure générale du Québec dans cette cause.