Des chercheurs du Centre de recherche Fernand-Seguin et du Centre universitaire de santé McGill ont réalisé une première mondiale en sondant le coeur d'une population touchée par une fusillade en milieu scolaire. Près de 1000 étudiants et membres du personnel du collège Dawson ont participé à une étude portant sur les impacts psychologiques de l'événement. Les résultats montrent que près de deux ans après le geste tragique de Kimveer Gill, les plaies étaient souvent loin d'être refermées.

Près de 40% des personnes qui ont répondu au questionnaire des chercheurs l'an dernier ont indiqué avoir souffert d'un trouble de santé mentale à la suite des événements survenus le 13 septembre 2006. Des troubles parfois très graves. Près de 10% des répondants ont eu des manifestations sévères de choc post-traumatique. Près de 7% ont eu des idées suicidaires et près de 11% ont souffert d'une dépression majeure.

Ces chiffres sont énormes, soulignent les chercheurs. «C'est deux à trois fois plus que dans la population en général», dit Stéphane Guay, psychologue, directeur du Centre d'études sur le trauma et l'un des auteurs de l'étude.

Et le plus inquiétant dans ces chiffres, c'est le nombre de personnes qui, malgré ces troubles, n'ont pas consulté un professionnel. Seul le tiers des personnes ayant souffert d'un trouble de santé mentale ont été traités. Pourquoi? Les préjugés relatifs aux maladies mentales, la peur de paraître faible.

«La principale raison, c'est celle de l'acceptabilité et non de l'accessibilité des soins. Les gens pensent que ça va passer, qu'ils vont s'en sortir par eux-mêmes. Mais, dans certains cas, ça ne passe pas», explique Alain Lesage, psychiatre et directeur adjoint du Centre de recherche Fernand-Seguin de l'hôpital Louis-H. Lafontaine, qui a dirigé l'étude.

Ainsi, près de 7% des répondants ont encore des symptômes sévères de choc post-traumatique. «Des symptômes importants, qui peuvent affecter leur fonctionnement quotidien. Ils continuent à vivre avec leur problème et ça paraît dans leur trajectoire scolaire. Ils ont eu du mal à terminer leur année. Ils ne sont pas où ils voudraient être», souligne le Dr Lesage.

Le personnel négligé

Les chercheurs estiment que l'aide psychologique d'urgence offerte par le CUSM tout de suite après la fusillade a été de grande qualité et bien déployée grâce à la collaboration étroite entre l'hôpital et le collège. «La façon dont les services ont été déployés pourrait servir de modèle», croit Alain Lesage. L'immense majorité des répondants qui ont reçu des services psychologiques - 80% - en ont d'ailleurs été satisfaits.

Cependant, observent-ils, on a négligé certaines clientèles, comme les membres du personnel. «Le personnel de soutien qui a procédé au nettoyage le lendemain de la fusillade était aux premières loges de la tragédie. Comme les profs qui étaient là le 13 septembre. Ils sont à risque d'être blessés psychologiquement. Or, on a sous-estimé leur souffrance. On les voyait comme des aidants pour les étudiants. On a eu des aidants blessés qui ont continué à aider», résume Alain Lesage.

«Chez certaines personnes, deux ans après, la blessure psychologique est encore là.»

De plus, les chercheurs ont noté que les blessures psychologiques émergent souvent, chez les étudiants comme chez les enseignants, bien après la fin des mesures d'urgence. «Une fois la vague de soutien passée, certaines personnes se sont senties isolées», explique Stéphane Guay.

Richard Filion, le directeur de Dawson, a constaté tout cela. Plus de trois mois après les événements, au retour des vacances des Fêtes, plusieurs membres du personnel du collège ont craqué. «Après les Fêtes, on a vu que des choses demeurées latentes sont remontées à la surface. On a senti beaucoup de fragilité, d'anxiété. On a donc décidé de prolonger nos séances de soutien jusqu'en avril», explique-t-il.

Les chercheurs, eux, recommandent d'instaurer, à la suite d'un tel événement, des séances générales d'informations à caractère quasi obligatoire, où on informerait les gens des symptômes des principales maladies psychiatriques, dont le choc post-traumatique, afin que les gens «s'autodépistent», souligne M. Guay. «On a fait tout ce qu'on pouvait raisonnablement faire. Mais peut-être aurions-nous dû maintenir la présence de services psychologiques encore plus longtemps», dit Richard Filion.

Le web, un allié inattendu

L'étude a notamment permis aux chercheurs de découvrir un allié inattendu dans le traitement des blessures psychologiques: l'internet. Près de 14% des répondants, étudiants comme professeurs, ont utilisé l'internet pour obtenir un soutien psychologique, dans des groupes de discussion informels qui se sont formés spontanément après la fusillade.

«Ça a accru le soutien psychologique, observe Alain Lesage. Dawson est en train de nous apprendre quelque chose sur un véhicule supplémentaire pour rejoindre les gens en matière de santé mentale. Pour encourager les gens à aller consulter.»

Si un événement semblable survenait, la mise sur pied d'un site web, où les symptômes des différents troubles sont établis, et où des professionnels peuvent répondre en ligne à une première demande d'information, revêt donc une grande importance, croient les chercheurs. «Un tel site web pourrait devenir l'emblème de l'événement», affirme Stéphane Guay. Après une séance d'information, on pourrait inviter les gens qui se posent des questions à utiliser un tel site pour converser en ligne avec un professionnel plutôt que de faire la file devant un bureau à la vue de tous, dit Alain Lesage.