«Yo man, je suis dans la marde, j'ai eu un accident et ils ont appelé la police.»

Après avoir échoué à l'alcootest, voilà ce qu'un jeune homme de 19 ans aurait dit à un ami, la nuit du 15 janvier 2006, en lui demandant de venir le chercher au poste de police. Ce jeune homme, Mihai Ibanescu, s'en est finalement sorti. Malgré la haute vitesse, les accidents, les témoins et l'alcootest positif qui militaient contre lui, il a été acquitté récemment de conduite avec plus de 80 mg d'alcool par 100 ml de sang dans le système.

Le juge Martin Vauclair s'est laissé convaincre par la «preuve de chevauchement» de la défense. Plus précisément, le magistrat a eu un doute, et c'est tout ce qu'il fallait pour prononcer l'acquittement. La «preuve de chevauchement» (défense avec preuve contraire) est une défense controversée, qui a divisé les juges de la Cour suprême l'an dernier. Elle consiste à présenter un expert qui vient établir une fourchette d'alcoolémie en se basant sur ce que l'accusé dit avoir bu.

 

Au procès, Ibanescu a soutenu avoir consommé trois rhums and coke et demi chez un ami, entre 21h et 23h15, et deux bières au Peel Pub, entre 0h50 et 2h. En fonction de ce scénario, avec des calculs basés sur sa taille et l'élimination, l'expert de la défense a évalué qu'au moment de l'accident, un peu avant 2h30, Ibanescu affichait un taux oscillant entre 57 et 83 mg, soit en dessous ou à peine au-dessus du taux légal de 80. L'alcootest qu'il a subi au poste de police, environ une heure et demie après l'accident, indiquait pourtant 104 mg.

La Couronne a plaidé, sans succès, que l'alcootest et le reste de la preuve étaient plus fiables qu'Ibanescu.

Vitesse et zigzags

L'affaire commence entre 2h15 et 2h30, la nuit du 15 janvier 2006. Deux jeunes hommes qui circulent dans la même voiture, sur la 720, voient une Nissan (conduite par Ibanescu) percuter un muret à gauche, puis le muret à droite, dans une bretelle menant à l'autoroute Décarie. Ils ralentissent pour voir si le conducteur de la Nissan a besoin d'aide. Mais la Nissan démarre en trombe, coupe leur voiture par la gauche et enfile sur Décarie. La Nissan zigzague entre les voies, à vive allure, affirmeront les deux jeunes hommes. Ils appellent le 9-1-1 pour signaler l'incident, et suivent la Nissan, grimpant jusqu'à 150 km/heure pour la garder à vue. La Nissan finit sa course au bout de l'autoroute Décarie, faisant un 180 degrés, et s'immobilise face à la circulation après avoir heurté un autre muret. Même là, alors que les sacs gonflables pendent, déployés, Ibanescu tente de faire démarrer sa voiture, selon un des deux témoins.

«Ah non! pas besoin de policier, on n'a pas besoin de policiers, j'ai dit que je veux juste m'en retourner chez nous», lance Ibanescu, quand il apprend que la police a été appelée. Autrement, il paraît indifférent à ce qui se passe, selon les témoins.

Les policiers arrivent. Ibanescu nie avoir consommé de l'alcool, mais l'alcootest indique «fail». Ibanescu est amené au poste, où il subit un autre test à 3h59. Celui-ci marque 104 mg. Dans la boîte à gants de la Nissan, les policiers trouvent une bouteille vide de Jack Daniels de 375 ml. En ouvrant son téléphone portable, ils constatent que le fond d'écran montre un compteur de voiture, avec l'aiguille à 180. «T'aimes ça la vitesse?», lui lance un policier.

Ibanescu en est à son deuxième accident dans sa courte carrière de conducteur. En octobre 2005, il a eu un accident avec la voiture de ses parents, si bien que ceux-ci ne la lui prêtent plus. Il a donc acheté la sienne, une Nissan 1996, en décembre 2005. Il ne la conduit que depuis quelques semaines, quand les faits dont il est question ici surviennent.

Ibanescu dira que la bouteille de Jack Daniels a été bue par un ami, qui l'a laissée dans la boîte à gants dans la soirée, plutôt que de la jeter à l'extérieur de la voiture. La photo sur son portable montre le compteur de la voiture d'un ami, qui reste «coincé à 180» même quand il roule à basse vitesse. Ce qu'Ibanescu trouve «drôle». Assez pour le photographier et s'en servir comme fond d'écran. Ibanescu convient qu'il roulait vite cette nuit-là, mais signale qu'il «manque d'expérience», n'ayant conduit seul qu'une dizaine de fois auparavant. C'était glissant par endroits, dira-t-il. Il a expliqué avoir quitté les lieux rapidement pour éviter d'être frappé par les autres automobiles. Enfin, il s'est décrit comme un type relax.

Le juge a trouvé que la conduite d'Ibanescu était l'élément le plus troublant dans cette affaire. Mais au bout du compte, il accepte les explications d'Ibanescu. Les deux premiers impacts viennent d'un dérapage en raison de la chaussée glissante. La vitesse par la suite était un manque de jugement de la part d'Ibanescu, qui pouvait être basé sur son inexpérience. Il a aussi noté que les symptômes physiques de capacités affaiblies étaient «quasi inexistants», ce qui a pesé lourd dans sa décision.

La Couronne jongle avec l'idée d'en appeler, mais aucune décision n'est encore prise, a indiqué la procureure Caroline Dulong. Ibanescu était représenté par Me Isabel Schurman.

Signalons enfin que la défense avec preuve contraire n'est plus possible depuis l'entrée en vigueur de la loi C-2, l'été dernier. Maintenant, c'est l'alcootest qui est réputé avoir raison. Les avocats de la défense contestent d'ailleurs la constitutionnalité de cette loi. Le débat promet de se rendre en Cour suprême. Ibanescu y a échappé, car les incidents sont survenus avant l'entrée en vigueur de la loi.