Le gouvernement conservateur veut renforcer le Registre national des délinquants sexuels grâce à un nouveau projet de loi annoncé en grande pompe, hier, par plusieurs de ses ministres dans tout le Canada. Au Québec, les intervenants en matière d'agression sexuelle y voient une stratégie des conservateurs pour créer un «faux sentiment de sécurité dans la population».

Le projet de loi conservateur propose que toute personne reconnue coupable d'une infraction sexuelle soit automatiquement inscrite au registre. À l'heure actuelle, la loi prévoit qu'un procureur de la Couronne doit demander au juge l'inscription de l'accusé. Le magistrat a le pouvoir de l'ordonner ou non. Depuis la création du registre en 2004, 42% des délinquants n'y sont pas inscrits, selon les chiffres fournis par les conservateurs. «C'est inacceptable», a dit le ministre de la Sécurité publique, Peter Van Loan, en point de presse à Ottawa.

 

Si le projet de loi est adopté, l'inscription deviendrait donc automatique, de même que le prélèvement d'échantillons d'ADN des personnes coupables d'infraction sexuelle. Le gouvernement Harper veut aussi permettre aux policiers de se servir du registre pour prévenir les agressions sexuelles et non seulement pour enquêter sur elles.

Les délinquants sexuels condamnés à l'étranger et transférés au Canada pour y purger le reste de leur peine seront aussi désormais inscrits au registre, selon le projet de loi. Ceux qui ont purgé la totalité de leur peine à l'étranger devront se présenter à la police lors de leur retour au pays, sans quoi ils feront l'objet de poursuites criminelles.

«Le Canada ne sera plus une zone protégée à partir de laquelle les délinquants sexuels en voyage pourront opérer sans problème», a souligné le ministre Van Loan.

La Gendarmerie royale du Canada, responsable du registre, s'est plainte du manque de moyens de le rendre efficace devant un comité de la Chambre des communes en avril dernier. Le registre n'a permis de résoudre aucun crime sexuel depuis sa création il y a cinq ans, a révélé la GRC devant ce comité. Le corps policier avait justifié ce manque d'efficacité par le petit nombre de délinquants sexuels inscrits et par le manque d'informations sur ces délinquants dans le registre. Au Québec, le registre est administré par la Sûrete du Québec (3707 délinquants sexuels inscrits sur quelque 19 000 pour tout le Canada).

Le projet de loi répond à ces critiques, selon le gouvernement Harper. S'il est adopté, les délinquants sexuels devront communiquer le nom de leur employeur, la nature de leur emploi et toute organisation bénévole à laquelle ils sont associés.

»Illusion de sécurité»

Aux yeux des intervenants auprès des délinquants sexuels et de leurs victimes, «ce registre ne fait que plonger le public dans une illusion, celle de croire que sa sécurité est davantage assurée», a souligné la directrice générale du Regroupement des intervenants en matière d'agression sexuelle, Josée Rioux.

«On a beau mettre de l'argent dans un registre, si on n'investit pas dans le traitement des délinquants sexuels, ces derniers risquent de récidiver. Toute sentence a une fin», a poursuivi Mme Rioux, dont l'association regroupe quelque 200 membres issus des milieux universitaire, correctionnel, hospitalier, jeunesse et communautaire du Québec.

Ce registre est inutile pour prévenir la grande majorité des agressions sexuelles, puisque 80% des victimes connaissent leur agresseur, a indiqué pour sa part le directeur général de l'Association des services de réhabilitation sociale du Québec, Patrick Altimas. «Les études démontrent que le taux de récidive diminue lorsqu'on traite le délinquant sexuel. Ce n'est pas l'inscrire dans un registre qui va changer quelque chose», a expliqué M. Altimas.

L'Association des policiers provinciaux du Québec s'est pour sa part réjouie de cette annonce. Tout comme l'Association des familles des personnes assassinées et disparues, qui met toutefois un bémol. «L'élargissement de la portée du registre est un pas en avant, notamment en y incluant les Canadiens condamnés à l'extérieur du pays et les militaires, mais, encore une fois, ces mesures ne sont pas rétroactives», a déploré son président, Pierre-Hugues Boisvenu, par communiqué.