Même s'il dit avoir «mis de l'eau dans son vin», le ministre de la Sécurité publique, Jacques Dupuis, doit se retirer du dossier Villanueva. C'est ce que la famille de Fredy Villanueva et les partis de l'opposition ont réclamé haut et fort, hier.

Jean Charest n'a pas l'intention de céder aux pressions et de désavouer son ministre. Il a réitéré sa confiance en M. Dupuis et lancé un appel au camp Villanueva pour qu'il participe à l'enquête publique du coroner, suspendue depuis mardi.Le camp Villanueva doit aussi «mettre de l'eau dans son vin», estime Jacques Dupuis. «On ne se racontera pas beaucoup d'histoires, j'ai mis de l'eau dans mon vin. Je fais un appel pour que tout le monde fasse la même chose afin qu'on aille devant le coroner et qu'on tienne l'enquête», a-t-il affirmé lors d'un point de presse.

Mardi, le ministre Dupuis est revenu sur sa décision et a accepté de payer les frais d'avocats des jeunes témoins de l'intervention policière qui a entraîné la mort de Fredy Villanueva l'été dernier dans Montréal-Nord. Il a pris cette décision à la suite d'une recommandation du coroner Robert Sansfaçon, qui a suspendu son enquête publique jusqu'à ce que «l'iniquité procédurale» soit rétablie.

Alors que les deux policiers impliqués dans la mort du jeune Villanueva sont représentés par des avocats d'expérience, les jeunes témoins devaient se présenter à l'enquête sans avocat, faute de moyens pour les payer.

Or, pour la famille Villanueva, Jacques Dupuis n'est plus un «interlocuteur valable». «Si le ministre (Dupuis) veut s'ouvrir la «trappe», il doit être conscient qu'il n'améliore pas les choses. Il n'aide pas à ce qu'un véritable dialogue s'installe entre les personnes impliquées. Il devrait arrêter de parler. Il sème la confusion», a dit hier Me Alain Arsenault, avocat (non payé) de la famille Villanueva.

La famille Villanueva et les témoins blessés par balle réclament une «commission d'enquête publique transparente au mandat large». Jacques Dupuis ne ferme pas complètement la porte à l'idée. «Faisons l'enquête du coroner, et on verra», a-t-il dit.

Le ministre a plaidé que le coroner Sansfaçon - un juge en exercice - avait déjà indiqué avoir toute la latitude requise pour accepter des questions comme le profilage racial. «Les parties peuvent être assurées qu'il s'agit d'un coroner indépendant et impartial. La preuve: il m'a un peu tapé sur les doigts, et je me suis rendu à ses suggestions», a-t-il ajouté.

«L'objectif ultime, c'est que nous connaissions les causes et les circonstances du décès malheureux de Fredy Villanueva et que la paix sociale soit maintenue à Montréal-Nord, à Montréal et au Québec», a souligné M. Dupuis lors de la période des questions en Chambre.

Perte de confiance

L'opposition péquiste accuse Jacques Dupuis d'avoir causé une «perte de confiance» dans l'enquête publique. «Le ministre de la Sécurité publique n'a pas fait son travail, et il semble y avoir eu de ce type de bévues ou d'omissions qui sont très questionnables. Actuellement, on se trouve devant un grave problème, à mon point de vue, d'équité, de justice et de crédibilité», a affirmé la chef du Parti québécois, Pauline Marois. Le PQ estime que le dossier devrait être retiré au ministre Dupuis afin d'être confié à la ministre de la Justice, Kathleen Weil.

La chef intérimaire de l'ADQ, Sylvie Roy, a fait la même demande. «Il est évident que l'obstination du ministre de la Sécurité publique a mis en péril les apparences de justice et a failli faire avorter l'enquête du juge Sansfaçon. Le ministre de la Sécurité publique s'est complètement discrédité», a-t-elle lancé.

Le premier ministre Jean Charest dit avoir «totalement confiance en Jacques Dupuis». «De grâce, passons ensemble à l'enquête du coroner, a-t-il lancé. C'est l'appel que je fais à ceux qui veulent que justice soit faite, peu importe l'angle sous lequel on aborde les tristes événements de l'été dernier. C'est d'abord connaître les faits qui va bien nous servir.»

«L'enjeu, c'est de faire l'enquête du coroner. Il ne faut pas dévier le débat. On veut savoir ce qui s'est passé l'été dernier, connaître les faits. C'est la première étape, et elle est incontournable pour la suite des choses.»

Pas de nouvelles

Malgré les récentes déclarations publiques de Jacques Dupuis et de la famille Villanueva, le coroner Robert Sansfaçon «n'a pas reçu de nouvelles officielles de qui que ce soit», selon sa porte-parole, Anne-Marie Lessard.

De son côté, la famille Villanueva attend un appel du coroner Sansfaçon ou du procureur de l'enquête, Me François Daviault, a indiqué à La Presse l'avocat de la famille, Me Arsenault. La famille Villanueva refuse aujourd'hui de «négocier en public», mais se dit ouverte à écouter ce que le coroner ou toute autre personne en autorité a à dire, sauf Jacques Dupuis.

Vérifications faites au Bureau du coroner: le juge Robert Sansfaçon, nommé coroner ad hoc, ne peut pas joindre lui-même les témoins et les parties inscrites à titre de «personnes intéressées» à son enquête. «Le coroner doit être indépendant et impartial. Il ne peut pas contacter une partie ou une autre, au risque de mettre son impartialité en péril», a expliqué sa porte-parole. Ce sera à Me Daviault, procureur de l'enquête, de clarifier les positions des uns et des autres. C'est ce qu'il fera dans les prochains jours, a indiqué le Bureau du coroner.