Un employé du collège Dawson vient d'intenter une poursuite de 95 000$ contre un psychiatre de l'hôpital Douglas qui l'a traité après la fusillade de septembre 2006. Il lui reproche d'avoir informé la SQ qu'il avait «parfois le goût d'aller finir la job» de Kimveer Gill.

L'employé, Michael Sheehan, a toujours nié avec véhémence avoir prononcé ces paroles. Mais voilà, cette dénonciation du psychiatre James Farquhar, faite le 29 juin 2007, a entraîné l'arrestation le jour même de M. Sheehan et sa mise en accusation pour menaces. L'homme de 45 ans a passé cinq jours en prison avant d'être libéré sous caution. L'affaire s'est conclue en avril 2008 par le retrait de l'accusation et un engagement à garder la paix. Ce serrurier a pu réintégrer ses fonctions au collège Dawson, où il travaillait depuis plus de 15 ans.

 

Dans la foulée de cette affaire, le psychiatre a reconnu avoir manqué au secret professionnel (en toute bonne foi cependant) et a admis avoir «exagéré des détails». Ce sont manifestement ces exagérations qui ont fait s'emballer la machine. Fait inusité, M. Sheehan a soutenu que le Dr Farquhar lui avait fait valoir le 9 juin 2008, lors d'un rendez-vous, qu'il n'avait pas besoin de consulter un avocat au sujet de cette histoire. Le psychiatre a alors remis un chèque de 2200$ à son patient pour le dédommager (les honoraires de son avocat s'élevaient à peu près à cette somme). M. Sheehan a également été invité à signer une lettre d'entente, écrite sur du papier à en-tête de l'hôpital Douglas, dans laquelle il s'estimait correctement dédommagé et s'engageait à ne pas intenter de poursuites. Décontenancé, M. Sheehan a signé. Perplexe, il a ensuite consulté un avocat du cabinet Aumais Chartrand, qui a vu là un conflit d'intérêts. «Cette entente est illégale, abusive, nulle», allègue la poursuite, au motif que le psychiatre était en situation d'autorité face à son patient.

En état de choc après la tuerie

Selon la poursuite, toute l'affaire a pris sa source le 13 septembre 2006, jour où Kimveer Gill est entré en tirant dans le collège Dawson. M. Sheehan, qui était responsable des urgences à l'atrium, a évacué des élèves avant de se précipiter à la garderie adjacente, où se trouvait sa fille de 4 ans. Une grande confusion régnait, et on ignorait alors qu'il n'y avait qu'un seul tireur. Après les événements, M. Sheehan a vécu un choc post-traumatique. En janvier 2007, il a consulté son médecin de famille, qui lui a prescrit de l'Effexor (un antidépresseur). Il soutient que, sous l'effet de ce médicament, il est devenu suicidaire, a abusé de l'alcool et de drogues, a tenté de se procurer une arme à feu et a essayé de s'enlever la vie par surdose de médicaments, si bien qu'il a été hospitalisé à Saint-Luc en février 2007. Après avoir suivi une cure, il a entrepris un suivi psychologique à l'hôpital Douglas. Au cours des entretiens, il a confié qu'il avait versé un acompte sur une arme plusieurs mois plus tôt, mais qu'il n'était jamais allé la chercher.

Désireux d'éviter un acte malheureux, le 29 juin 2007, le Dr Farquhar a appelé le service de contrôle des armes à feu de la SQ afin de résumer la situation et de demander qu'on retire à M. Sheehan son permis de possession d'arme. «Il me dit qu'il a parfois le goût d'aller «finir la job». Pourtant il s'en défend et accepte que l'on devrait lui enlever l'arme à feu pour sa sécurité et pour celle des autres. Il a aussi un risque élevé de s'enlever la vie de façon soudaine et imprévue. Il n'est pas psychotique. Il est raisonnable et il se dit prêt à collaborer avec la police. Je crois qu'il lui serait un soulagement d'enlever la tentation d'utiliser l'arme», a noté le médecin dans une lettre adressée à la SQ ce jour-là.

M. Sheehan n'avait pas de permis de possession d'arme, a constaté la SQ, qui a décidé de pousser l'enquête. Lors d'un entretien téléphonique avec une policière, ce jour-là, M. Sheehan s'est dit prêt à rencontrer la police, mais seulement quelques jours plus tard parce qu'il s'apprêtait à partir au chalet avec sa famille pour le long congé. On l'a arrêté le soir même à son domicile, avec la suite que l'on connaît. M. Sheehan n'avait pas d'arme et n'en avait d'ailleurs jamais eu.

Cette poursuite vise seulement le Dr Farquhar. L'hôpital Douglas est toutefois au courant, a confirmé hier sa porte-parole, Marie-France Coutu. M. Sheehan n'a pas porté plainte au Collège des médecins et n'a pas l'intention de le faire, selon les renseignements obtenus du cabinet d'avocats qui le représente.

 

Desjardins, ChristianeLe secret professionnel

Dans la lettre d'entente avec M. Sheehan, le Dr Farquhar reconnaît l'ambiguïté de la situation, et fait mention des règles qui régissent le secret professionnel.

L'article 9 de la Charte des lois et libertés signale: «Toute personne tenue par la loi au secret professionnel et tout prêtre ou autre ministre du culte ne peuvent, même en justice, divulguer les renseignements confidentiels qui leur ont été révélés en raison de leur état ou profession, à moins qu'ils n'y soient autorisés par celui qui leur a fait ces confidences ou par une disposition expresse de la loi.»

L'article 60.4 du Code des professions précise ce qui suit: «Le professionnel peut en outre communiquer un renseignement protégé par le secret professionnel, en vue de prévenir un acte de violence, dont un suicide, lorsqu'il a un motif raisonnable de croire qu'un danger imminent de mort ou de blessures graves menace une personne ou un groupe de personnes identifiable. Toutefois, le professionnel ne peut alors communiquer ce renseignement qu'à la ou aux personnes exposées à ce danger, à leur représentant ou aux personnes susceptibles de leur porter secours. Le professionnel ne peut communiquer que les renseignements nécessaires aux fins poursuivies par la communication.»