C'est une démonstration claire, méthodique, que les exportateurs libanais du fameux haschisch «Lebanese Gold» ont financé des guerres politiques qui ont sévi au Moyen-Orient. Le plus sensationnel, c'est que l'enquête policière faite au Québec a servi avec succès dans des procès aux États-Unis, mais qu'elle a lamentablement échoué «pour un X de trop», devant nos tribunaux.

Le documentaire Pour un X de trop, une enquête de la GRC qui sera diffusé vendredi, à 20h, sur les ondes de Radio-Canada, est aussi un hommage posthume au sergent d'état-major Mark Bourque, mort au cours d'une mission humanitaire en Haïti, en 2005. D'une ténacité à toute épreuve, c'est ce policier de la GRC qui a mis au jour la filière internationale de trafiquants de haschisch à la solde du clan libanais des Frangié, en guerre ouverte avec le clan rival des Gemayel dans les années 70 et 80.

 

«Je veux surtout montrer ce qui se passe au Canada, où l'application bête et outrancière du droit est trop souvent à la source d'injustices incroyables», explique le scénariste et réalisateur du document de deux heures, Daniel Creusot. Il ne s'en cache pas non plus, Mark Bourque était devenu un ami après l'avoir aidé à monter un grand reportage sur la mafia montréalaise, en 2001. «C'était un grand enquêteur, et il a été mis sur les tablettes à cause de son franc-parler», déplore Creusot.

Malgré le passage des années, l'auteur québécois se souvient encore textuellement de ce que Bourque a déclaré à un congrès du Barreau canadien où il avait été appelé à parler du problème de blanchiment d'argent au pays. «Il a dit que parmi les plus grands promoteurs de criminalité au pays, il y avait les avocats de la défense et le système bancaire. Dès le lendemain, il était chassé de la brigade des stupéfiants et muté à d'autres fonctions par la GRC. Or, les grandes enquêtes des dernières années sur les Hells Angels et la mafia lui ont donné raison sur toute la ligne», constate Daniel Creusot.

Quant à l'histoire du «Lebanese Gold», elle a commencé le 18 mars 1980 par un coup de fil du Bureau de lutte antidrogue américain (DEA) qui sollicitait l'aide de la GRC pour épier un trafiquant de cannabis libanais, Joseph Abizeid, qui partait de New York pour venir à Montréal.

Chargé de l'enquête, Mark Bourque n'a pas mis de temps à découvrir qu'Abezeid planifiait l'envoi clandestin par bateau de 7 tonnes de haschisch en partance du Liban. Il apprend également que le clan libanais était lié au célèbre bijoutier mafieux Donald Côté, en contact avec la «famille» Cotroni et le gang de l'Ouest.

En 1973, le «consortium» montréalais s'était fait saisir une tonne de haschisch dans un entrepôt de la rue Lepailleur, près du port de Montréal. Payée 300 000$ au Liban, la cargaison devait rapporter 8 millions aux trafiquants québécois. Les trois complices de Côté avaient été arrêtés.

L'affaire s'était terminée dans un bain de sang. La femme, le jeune fils et le meilleur ami de Côté avaient été tués dans sa maison de Sainte-Anne-des-Plaines. Par la suite, les corps de deux des assassins ont été retrouvés troués de balles et calcinés dans le coffre d'une voiture, à Saint-Léonard. Le troisième a été liquidé quelques années plus tard, peu après sa sortie de prison. Côté a été acquitté de tous ces crimes.

Durant son enquête de quatre ans avec le DEA, Mark Bourque a trouvé dans les archives de la GRC des enregistrements d'écoute électronique démontrant que Joseph Abezeid avait ses entrées au gouvernement libanais. Son père Antoine était un conseiller de Soleiman Frangié, en rupture de ban avec le Front libanais chrétien, au début des années 80. L'enquête policière américano-canadienne a même fait avorter un projet d'assassinat du président de la république, Élias Sarkis. Le conflit qui a suivi opposant les troupes de Frangié et celles du clan sarkisien de Béchir Gemayel ont coûté la vie à plus de 250 personnes.