Six drames familiaux en trois mois au Québec. Deux en deux semaines à Laval. Outre la tristesse incommensurable que provoquent de tels événements, une question demeure: pourquoi?

Des nuages gris planaient hier matin au-dessus de la rue de l'Adjudant, où s'est déroulé mardi soir un drame familial, le deuxième en deux semaines à Laval et le sixième depuis le début de l'année au Québec.

 

La découverte des corps des soeurs Amanda et Sabrina De Vito - âgées de 9 et 8 ans - dans leur maison cossue, suivie de l'arrestation de leur mère, a causé une onde de choc dans Val-des-Brises, un secteur huppé du quartier Duvernay.

Adèle Sorella, la mère des jeunes victimes, a été appréhendée dans la nuit de mardi à hier, après avoir embouti un poteau électrique au volant de sa voiture à Laval.

Le père des deux fillettes, Giuseppe De Vito, est un membre influent du clan Arcadi, de la grande «famille Rizzuto». En cavale depuis deux ans, l'homme de 42 ans est activement recherché dans le cadre de l'enquête Colisée (voir autre texte).

L'ambiance hier était triste à pleurer dans ce quartier cossu, où s'alignent des maisons évaluées à plusieurs centaines de milliers de dollars. À côté de la maison du drame, les dessins à la craie aux couleurs multicolores tapissent le bitume.

Vers 8h30, le camion de la morgue a récupéré les corps des victimes. Au même moment, une voisine a traversé les cordons policiers en agrippant fermement ses deux enfants. Ces derniers avaient sensiblement le même âge que les deux fillettes mortes. Leur mère marchait en ravalant ses sanglots.

Sous le couvert de l'anonymat, une autre mère de famille du quartier n'a pas caché son désarroi. Deux de ses quatre enfants étaient dans la même classe que les jeunes victimes. «C'est dur pour moi d'expliquer ce drame à mes propres enfants. J'ai mal au ventre à y penser. Je n'ai pas dormi beaucoup cette nuit. J'ai appelé d'autres mères du quartier», a raconté cette femme, qui comptait sur la direction de l'école pour expliquer la situation aux enfants. «J'écoutais les nouvelles avec eux ce matin (hier). Ils m'ont demandé si elles étaient mortes. Je leur ai répondu qu'ils en sauraient plus en arrivant à l'école.»

La tornade et la poupée

Des voix enfantines résonnaient dans l'école primaire Genesis, du quartier Duvernay, un petit établissement d'environ 300 élèves. Sabrina et Amanda y étaient inscrites en deuxième et en quatrième année.

La direction a dépêché hier une équipe d'intervenants spécialisée dans le deuil pour accueillir les élèves et le personnel. «La plupart de nos parents ne savaient pas comment l'annoncer à leurs enfants. Certains élèves le savent, d'autres non», a expliqué Anne-Marie Lepage, directrice générale de la commission scolaire Sir-Wilfrid-Laurier.

Difficile, reconnaît Mme Lepage, d'expliquer à des enfants l'inexplicable. «On doit leur donner les faits, crûment. Que deux élèves de deuxième et de quatrième année ne reviendront pas», a ajouté la directrice générale.

Dans le stationnement de l'école, Élizabeth A. Hoadley peinait à contenir ses larmes. Responsable d'une classe d'art parascolaire - les Mini-Maîtres - elle y côtoyait Amanda et Sabrina depuis des années. Ses yeux s'illuminent lorsqu'elle parle de Sabrina, sa petite tornade qui la faisait rire, et d'Amanda, plus réservée mais une vraie poupée. «Je suis triste pour les filles, mais croyez-moi, leur mère les adorait. Ce n'est ni une femme horrible ni un monstre», a assuré Mme Hoadley.

Entre ses mains, elle tenait un des sept livres pour enfants qu'elle a écrits et qu'elle devrait déposer aujourd'hui chez un éditeur. Deux fillettes à l'air espiègle en train de faire des bulles sont dessinées sur la couverture du manuscrit, titré My Own Castle. Amanda et Sabrina l'ont inspirée dans l'écriture de cette histoire, qui parle de deux soeurs qui s'ennuient de leur père. Mme Hoadley en a eu l'idée lorsqu'elle a proposé à son groupe de faire un projet artistique destiné aux papas. «Amanda et Sabrina m'ont répondu qu'elles ne pouvaient pas. Ça m'a brisé le coeur», a confié Mme Hoadley, qui a mis un an à rédiger cette histoire.

La police de Laval poursuit de son côté son enquête pour éclaircir ce drame. Une autopsie sera pratiquée sur les corps des victimes pour déterminer la cause de la mort. Les policiers ont dit n'avoir trouvé aucune trace de violence sur les corps. Tout porte à croire que les enfants auraient été empoisonnées avec des médicaments.

Adèle Sorella souffrait apparemment d'une profonde dépression. Selon un proche de la famille qui a souhaité conserver l'anonymat, elle n'a plus jamais été la même après avoir subi une opération au cerveau il y a une dizaine d'années. Elle travaillait comme agente à la société immobilière Sutton, à Laval.

Quant à l'accident qui a mené à l'arrestation d'Adèle Sorella, les policiers n'écartent aucune hypothèse, notamment celle de la tentative de suicide. «Il y avait des traces de dérapage et elle était seule dans son véhicule. Reste à savoir si elle a fait exprès ou si elle allait trop vite», a souligné Nathalie Laurin, de la police de Laval.

Après son arrestation, la mère de famille a été conduite à l'hôpital, afin d'y subir une évaluation psychiatrique. Adèle Sorella pourrait comparaître aujourd'hui au palais de justice de Laval et devoir répondre à des accusations de meurtre.