Pour avoir de nouveau failli à ses engagements contractuels, le gouvernement du Québec vient d'être condamné à payer 80 000$ au délateur Serge Quesnel. De l'avis du tribunal, la vie de l'ancien tueur à gages des Hells Angels de Trois-Rivières s'apparente, depuis son incarcération en 1995, à celle d'un condamné à mort. «Sa vie se résume à dormir, se nourrir, écouter la télévision, lire, consommer des médicaments et se dégrader», déplore le juge Yves Alain, de la Cour supérieure.

Tout le long des 55 pages de son jugement, le juge ne mâche pas ses mots à l'endroit du ministère québécois de la Sécurité publique et des hauts fonctionnaires qui doivent veiller à la réhabilitation des délateurs. Tout en fustigeant le système carcéral comme tel, il impute «à la négligence, au laxisme, à l'incompétence, la désinvolture, voire à la mauvaise foi et à la mesquinerie» des employés de l'État le «cul-de-sac psychologique» dans lequel se retrouve Quesnel, après presque 14 ans d'incarcération.

 

De l'avis d'experts qui ont témoigné au procès - deux à la demande de l'avocat de Quesnel et l'autre, du gouvernement provincial -, le délateur est encore loin d'espérer retourner à l'air libre, faute de conditions de détention favorables et de programmes de réinsertion sociale adéquats. Âgé de 37 ans, Quesnel est admissible à une libération conditionnelle depuis 2007.

Criminel depuis l'adolescence, Quesnel avait pourtant reçu l'assurance qu'il serait détenu dans «un centre spécialisé et adapté à sa condition» quand il a signé son contrat de délateur en juin 1995. Ça n'a jamais été le cas, selon le juge Alain. Au contraire, Quesnel a été confiné en isolation et quasiment laissé pour compte dans tous les établissements où il est passé jusqu'à maintenant. Pis encore, la situation s'est dégradée depuis 2001, en dépit d'un engagement du ministère de la Sécurité publique de revoir son plan d'intervention, à la suite d'un autre recours judiciaire de Quesnel. Cette poursuite s'était réglée à l'amiable.

Dans l'esprit du juge, il est clair que les prisons québécoises ne sont pas équipées pour accueillir des détenus qui purgent de longues peines, qu'il s'agisse de Quesnel ou d'un quelconque autre délateur qui se met au service de la justice.

«Les centres de détention effectuent du dépannage. Ce qu'on fournit constitue simplement de l'accommodement d'hébergement pour des gens dont la sentence est gérée à distance, depuis Montréal», indique le juge Yves Alain, relevant au passage que ces «gestionnaires-décideurs» réfèrent à des normes généralement applicables à des peines de huit mois d'emprisonnement.

Autre source d'irritation de taille, selon le juge: Quesnel se voit prescrire toutes sortes de médicaments - somnifères, antidépresseurs, antipsychotiques et autres. À un certain moment, on lui a même donné du Ritalin. «À plusieurs époques, c'est Quesnel lui-même qui contrôle sa consommation. Cela lui permet de se couper de la réalité. Il faut croire qu'elle fait l'affaire des autorités, puisqu'il passe de grandes périodes dans un état quasi comateux, ce qui a pour conséquence de le calmer», a-t-il dit, en qualifiant cette pratique d'irresponsable.

«Toutes les recommandations des intervenants sociaux depuis 2001 sont restées lettre morte. Il est vrai qu'il s'agit d'un cas lourd, difficile à gérer, mais les autorités ont pris des engagements qu'elles ne respectent pas. Il faut un changement d'approche radical pour redonner espoir à Quesnel», de conclure le juge, en invitant les autorités provinciales à confier la garde des délateurs au Service correctionnel canadien (SCC), beaucoup mieux équipé pour s'occuper de tels cas.

Le gouvernement québécois avait aussi reçu une volée de bois vert, cette fois du juge Fraser Martin, pour sa piètre gestion du dossier de Jean-Claude Bergeron, un autre témoin repenti. Le jugement a été confirmé par la Cour d'appel, le 12 septembre 2007. Depuis 15 ans, au moins quatre grandes enquêtes - rapport du Protecteur du citoyen, rapport Guérin, rapport Boisvert et rapport Corbo -, note le juge Alain dans son jugement, ont également soulevé d'importantes lacunes au sujet des services correctionnels du Québec en général, mais aussi en ce qui concerne la protection des collaborateurs de la justice.

Rendu le 25 février dernier, ce jugement du juge Yves Alain pourrait faire boule de neige, d'autres délateurs s'étant plaints dans le passé d'avoir été floués par le système. On ne sait pas encore si le gouvernement entend faire appel de la décision.