Dans le cadre de sa peine pour avoir fait une faillite frauduleuse, le fondateur des défuntes éditions Trait d'union, Pierre Turgeon, devra donner des conférences dans six écoles, pour intéresser les jeunes à la lecture.

Ces conférences devront durer au moins une heure, et être données d'ici le 31 octobre prochain dans des écoles de milieux défavorisés, a statué le juge Serge Boisvert, hier, en imposant la peine à M. Turgeon. L'homme de 61 ans, bien connu dans le milieu de l'édition, devra également payer une amende de 5000$. Il est sous le coup d'un sursis de peine pour la prochaine année.

 

En infligeant cette sentence, le juge de la Cour du Québec à Montréal entérinait la suggestion commune des avocats des deux parties, Me Yacine Agnaou pour la Couronne fédérale et Me Cyrille Girot pour la défense. Plutôt que d'aller en procès, M. Turgeon a plaidé coupable à deux des six accusations qui pesaient sur lui. La Couronne a décrété un arrêt des processus judiciaire sur les autres chefs.

Prêt de 600 000$

Hier, Me Agnaou a expliqué que M. Turgeon avait contracté un prêt de 600 000$ de Services financiers du square Victoria (de Julien Béliveau), pour faire fonctionner sa maison d'édition Trait d'union. Afin d'éponger sa dette, M. Turgeon s'était engagé personnellement à remettre au prêteur la moitié de ses rentrées d'argent provenant des comptes clients. Entre juin 2004 et mars 2005, moment de la faillite de Trait d'union, M. Turgeon a plutôt encaissé l'argent pour son bénéfice personnel.

Au départ, lorsque les accusations ont été déposées en septembre 2007, on parlait d'une fraude de 269 000$. Comme des accusations ont été laissées de côté au terme de négociations entre les procureurs, la somme a été ramenée à 32 000$. «Il ne faut pas oublier qu'on est dans un forum criminel. Quand on prête de l'argent et que l'entreprise fait faillite, ça ne veut pas dire que c'est criminel. Il faut des critères supplémentaires, comme la malhonnêteté et le risque de perte. Ici, la malhonnêteté a été vérifiée pour une somme de 32 000$», a expliqué Me Agnaou à La Presse, après l'audience.

Mauvaise gestion et désinvolture

Julien Béliveau sort amer de l'aventure avec M. Turgeon, qu'il juge «désinvolte avec l'argent des autres».

«Moi, j'ai perdu 600 000$. Des imprimeurs ont perdu 300 000$. Des auteurs ont perdu 200 000$», raconte M. Béliveau, qui a commencé à prêter de l'argent à M. Turgeon en 2001. «Un ami me l'avait présenté comme un éditeur prometteur, qui connaissait les auteurs, deux fois récipiendaire du Prix du gouverneur général.» M. Turgeon avait par ailleurs un passé professionnel impressionnant. Il avait été journaliste, chroniqueur, rédacteur en chef de revues, scénariste, romancier et éditeur. Il avait fondé les Éditions Quinze, dirigé les éditions du groupe Sogides, ainsi que les Presses de l'Université de Montréal, avant de fonder Trait d'union en 1999.

«Je me disais que je ne pouvais pas perdre, explique M. Béliveau. Je lui ai prêté sur des livres spécifiques. Le premier était celui de Michel Auger.»

Mais M. Béliveau estime que M. Turgeon a commis erreur par-dessus erreur. Il faisait imprimer beaucoup trop de livres, et ça ne se vendait pas. Par ailleurs, il croit que bien des livres n'auraient jamais dû sortir, car la qualité n'était pas là. Les factures impayées s'accumulaient, à l'insu de M. Béliveau. Ce dernier a encore allongé de l'argent, sur promesses de M. Turgeon. Jusqu'à ce que ça éclate en 2005.

Signalons enfin que M. Turgeon a fait une faillite personnelle en 2005, peu de temps après la faillite de Trait d'union. Malgré l'opposition du syndic, il a été libéré de sa faillite au début de 2007. Il est aujourd'hui administrateur aux Éditions Tonality, implantées sur l'internet.